Par Marta Torre-Schaub, directrice de recherche CNRS rattachée à l’Université Paris 1

Conscient d’un climat qui se réchauffe vite et de l’inquiétude de la population vis-à-vis de ces changements et ses graves impacts, le Haut Conseil pour le Climat (HCC) dresse un état des lieux assorti de cinq recommandations.  Pour la première fois, le HCC salue les avancées « significatives » des politiques publiques climatiques. Le rapport convient également des « résultats » se sont produits. Il note toutefois que l’exposition accrue de la population, des écosystèmes, des infrastructures et des activités économiques aux conséquences du réchauffement climatique présente des risques majeurs.

Quelles sont les principaux constats du rapport ?

Le rapport constate d’abord un rythme de baisse des émissions de gaz à effet de serre dont l’ampleur est cohérente avec une trajectoire de décarbonation permettant d’atteindre ses objectifs pour 2030. Il souligne ensuite que la France fait face à deux défis : la réindustrialisation et la souveraineté énergétique et alimentaire. Pour y parvenir, ce que le HCC nomme « l’action pour le climat » doit être à la fois durable et incitative. Dans ce sens, le rapport insiste sur l’importance des investissements verts, du renouvellement des infrastructures et de régénération des écosystèmes forestiers. Le rapport fait un deuxième constat positif en saluant l’évolution du cadre d’action des politiques publiques et des émissions sur la période du 2e budget carbone (2019-2023).

Le rapport met toutefois en garde en indiquant à quelles conditions il sera possible de maintenir ce cap. En premier lieu, il est indispensable de remettre à jour les documents programmatoires permettant d’avoir une planification de la baisse des émissions et des politiques climatiques en cohérence avec les objectifs de 2030 et 2050. Le HCC souligne qu’il y a un retard notable dans l’élaboration des Plans énergie et climat, de la Stratégie nationale bas carbone et des Plans d’adaptation. On rappellera qu’il s’agit de documents de nature contraignante, comme le Conseil d’État l’a affirmé dès 2020 (CE commune de Grande Synthe) ainsi que le TA de Paris en 2021 (Oxfam et al.). Le renouvellement de ces documents cadres est donc urgent. En second lieu, le HCC prône un alignement plus robuste des politiques actuelles sur l’objectif européen de neutralité carbone en 2050. Enfin, les politiques d’adaptation doivent être renforcées, et ce, à l’égard des populations mais également des entreprises.

Quelles sont les nouveautés introduites par le texte ?

On peut noter plusieurs éléments nouveaux. L’intitulé du rapport, pour commencer, attire l’attention car la « population » est au centre du document. Cela est sans doute dû au contexte général européen et international dans lequel le rapport a été rédigé. En effet, trois décisions ont été rendues par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) le 9 avril dernier, dont une concernait la France. La CEDH avait été saisie d’une requête déposée par Mr. Damien Carême, ancien maire de la ville de Grande Synthe, dans laquelle il avançait que les effets négatifs du changement climatique lui faisaient courir un risque pour sa vie. Il alléguait aussi que son domicile était en péril. La requête a été jugée irrecevable. Toutefois, le HCC semble bien conscient de la nécessité de protéger les populations contre les risques climatiques.

Le contexte international, en second lieu, est intéressant pour une meilleure compréhension du rapport. On sait que la Cour internationale de justice et le Tribunal international de la mer se sont saisis récemment des questions liées aux obligations des États vis-à-vis de la protection des populations face aux risques liés au changement climatique. Le HCC semble conscient de ces nouveaux enjeux et prône un renforcement des politiques climatiques.

La troisième nouveauté réside dans la place accordée aux entreprises. Cohérent avec sa prise de conscience des enjeux actuels pour la France, le HCC connaît l’importance du secteur privé à la fois pour la réindustrialisation et la souveraineté énergétique et alimentaire. Dans ce sens, le rapport exprime la nécessité de protéger les entreprises face aux risques climatiques.

Concrètement, quel est l’impact de ces préconisations sur le droit ?

Si le prochain gouvernement venait à suivre les recommandations du HCC, plusieurs conséquences juridiques en découleraient.

Premièrement, du point de vue normatif, le HCC souhaite créer une impulsion législative et réglementaire visant à adopter des documents légaux structurants précisant la trajectoire de décarbonation de manière réaliste, en cohérence avec les engagements européens et internationaux.

Deuxièmement, et dans le prolongement de ce qui précède, le HCC insiste sur la nécessité d’identifier le financement pluriannuel garantissant une trajectoire claire, stable et lisible.

En troisième lieu, le rapport préconise d’incorporer dans le corpus juridique des trajectoires d’adaptation. Le HCC recommande ainsi d’inclure les implications de la trajectoire de référence pour l’adaptation dans les lois, décrets, arrêtés, instructions et référentiels techniques. Cela doit être accompagné d’un renforcement des critères relatifs à l’adaptation dans les documents assurantiels et financiers. Le HCC est soucieux d’identifier les limites de l’adaptation et des transferts de « vulnérabilité ».

De ce fait, et en quatrième lieu, le rapport propose une mise à jour de l’évaluation collective des impacts du changement climatique. Cela permettra à la fois de protéger les ménages mais également les entreprises. L’on ne peut s’empêcher ici de penser à l’actualité. En effet, le rapport rendu par la commission d’enquête du Sénat au sujet du maintien de la souveraineté énergétique de la France et des activités du groupe Total, montrent bien la pertinence du sujet au regard des entreprises et la nécessité pour l’État d’intégrer cette priorité dans ses politiques législatives. Dans le même temps, les arrêts rendus par la Cour d’appel de Paris le 18 juin, au sujet des plans de vigilance à la charge de trois entreprises françaises transnationales, confortent la vision du Haut Conseil pour le climat s’agissant des liens entre les risques climatiques et les entreprises.

S’agit-il d’un hasard provoquant un timing concordant ou est-ce plutôt le fruit d’un nouveau dialogue entre le Haut Conseil et le droit climatique ? Le fait est que le nouveau rapport montre une grande synchronie avec l’actualité juridique et judiciaire sur le climat, ce qui est à saluer.