Par Bertrand-Léo Combrade, Professeur de Droit public à l’Université de Poitiers

Pourquoi le Conseil constitutionnel a-t-il été saisi ?

Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, l’article 39 alinéa 4 de la Constitution dispose que « les projets de loi ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l’assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours. Les « règles fixées par la loi organique », promulguée le 15 avril 2009, imposent en particulier au Gouvernement de présenter une étude d’impact censée rendre compte, notamment, des incidences juridiques, économiques, financières, sociales et environnementales de la plupart des projets de loi.

Le 9 avril 2024, la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale, saisie en première lecture du projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture, a estimé que l’étude d’impact qui l’accompagnait méconnaissait les règles fixées par la loi organique du 15 avril 2009. En désaccord avec cette analyse, le Premier ministre a saisi le Conseil constitutionnel afin qu’il examine l’étude d’impact.

Quelle décision le Conseil constitutionnel a-t-il rendue ?

Dans le prolongement des deux précédentes décisions rendues dans le cadre de cette voie de recours, le Conseil constitutionnel a donné raison au Gouvernement en estimant, conformément aux observations transmises par celui-ci, que l’étude d’impact n’était pas contraire aux exigences fixées par la loi organique du 15 avril 2009. S’efforçant de répondre aux moyens présentés par les députés du groupe parlementaire LFI dont la présidente avait demandé à la Conférence des présidents de refuser l’inscription du projet de loi à l’ordre du jour, l’institution de la rue de Montpensier a estimé que l’étude d’impact exposait avec « suffisamment de précision » l’évaluation des incidences des différentes dispositions du projet de loi.

Le Conseil constitutionnel aurait-il pu rendre une autre décision ?

On ne saurait souligner combien l’exigence d’étude d’impact des projets de loi est une démarche salutaire dans la mesure où elle impose au Gouvernement, en somme, de démontrer qu’il a suffisamment réfléchi avant d’agir. À ce titre, il serait tentant d’attendre du Conseil constitutionnel qu’il se montre plus regardant à l’égard de la qualité des études qui lui sont transmises. Malheureusement, ce dernier ne dispose ni du temps (il doit statuer dans un délai de huit jours) ni des ressources lui permettant d’apprécier en pleine connaissance de cause la pertinence des évaluations économiques, financières, sociales ou environnementales présentées par le Gouvernement. Par conséquent, suivant une formule qu’il pourrait faire sienne, lorsqu’il est saisi de moyens tirés de l’insuffisance d’une étude d’impact, le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation de même nature que celui qu’il exerce lorsqu’il se prononce sur la constitutionnalité d’une loi.

Plutôt que d’attendre du Conseil constitutionnel l’exercice d’un contrôle qu’il n’est pas en mesure d’exercer, pourquoi ne pas créer une instance spécifiquement chargée de se prononcer sur la qualité des études d’impact des projets de loi, en s’inspirant de pratiques étrangères où des organismes composés de personnes qualifiées dans les domaines considérés rendent un avis public sur les évaluations présentées par le Gouvernement ? La balle n’est pas dans le camp du Conseil constitutionnel mais dans celui du législateur.