Par Benjamin Fargeaud, Professeur de droit public à l’Université de Lorraine

Un député peut-il être sanctionné pour son comportement dans l’hémicycle ?

Si la liberté d’expression des députés est particulièrement protégée, ces derniers peuvent tout de même faire l’objet de sanctions disciplinaires pour leurs actions dans l’hémicycle. Celles-ci permettent aux autorités de l’Assemblée nationale de sévir contre les députés qui feraient obstacle au bon déroulement des travaux. Le règlement de l’Assemblée, qui est le règlement intérieur de l’institution, prévoit ainsi une série d’hypothèses (trouble des débats, provocation de scène tumultueuse, appel à la violence, etc.) pouvant donner lieu à sanctions. Il en existe plusieurs types (la plus légère étant le rappel à l’ordre simple, la plus lourde étant la censure avec exclusion temporaire), décidés selon les cas par le président de séance, par le bureau de l’Assemblée ou encore par l’Assemblée elle-même sur proposition du bureau.

Un député peut-il être sanctionné pour avoir brandi un drapeau dans l’hémicycle ?

L’hypothèse d’un député profitant d’une séance à l’Assemblée nationale pour faire passer un message politique à l’aide d’un vêtement ou d’un drapeau n’est pas nouvelle. En 2017, François Ruffin avait reçu un rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal pour avoir porté un maillot de football dans l’hémicycle. Ce coup d’éclat avait conduit la présidence de l’Assemblée nationale à inscrire expressément, dans les textes relatifs au fonctionnement interne de l’institution, l’interdiction du recours à toute pancarte ou autre objet au cours des débats parlementaires. Le même texte précise que la tenue des députés doit être neutre et ne doit pas être le prétexte à la manifestation d’une quelconque opinion. Ces dispositions, pour claires qu’elles soient, n’ont pas dissuadé Jean Lassalle d’arborer un gilet jaune lors d’une séance de questions au Gouvernement en 2018. Pas plus qu’elles n’ont dissuadé Sébastien Nadot d’agiter, dans des circonstances semblables, une banderole « La France tue au Yémen » en 2019. Dans les deux cas, les intéressés avaient écopé d’un rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal.

Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que le député Sébastien Delogu se soit vu infliger une sanction pour avoir brandi le drapeau palestinien dans l’hémicycle le 28 mai dernier. Ce qui est plus étonnant, c’est la sévérité de la peine prononcée ce jour-là. L’Assemblée, sur proposition du bureau qui avait été réuni immédiatement, a en effet opté pour la censure avec exclusion temporaire. Il s’agit de la sanction la plus lourde possible, qui éloigne le parlementaire de l’Assemblée pour une durée de quinze jours. La députée Rachel Keke, qui a suivi l’exemple de son collègue une semaine plus tard, a quant à elle fait l’objet d’un rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal. La présidente de l’Assemblée nationale semble avoir, cette fois-ci, fait le choix de temporiser en renvoyant à une réunion ultérieure du bureau une éventuelle aggravation de la sanction. Du fait de la dissolution, cette réunion n’a jamais eu lieu. L’intéressée aurait-elle fait l’objet d’une sanction identique à celle de son collègue de groupe ? La fin prématurée de la XVIe législature a vraisemblablement rendu sans objet cette question pourtant importante.

Qu’en est-il des députés qui se sont collectivement habillés aux couleurs du drapeau palestinien ?

Lors de la séance de questions au Gouvernement du 2 juin, les députés de différents groupes de gauche ont entendu protester contre la sanction ayant touché leur collègue Sébastien Delogu en s’habillant collectivement aux couleurs de la Palestine. Bien qu’ils n’aient brandi ni pancarte ni drapeau, la régularité de leur comportement au regard des dispositions déjà présentées – à savoir l’exigence d’une « tenue neutre » – apparaît très discutable. La présidente de l’Assemblée a toutefois choisi de ne rien faire, vraisemblablement pour ne pas envenimer une situation déjà complexe. Des comportements collectifs ont pourtant pu, par le passé, faire objet de sanction. En avril dernier, plusieurs dizaines de députés de gauche ont ainsi reçu un rappel à l’ordre pour avoir brandi des pancartes.

Si tout cela peut apparaître quelque peu erratique, il faut souligner que le maintien de l’ordre en séance relève en premier lieu de l’appréciation de la présidence et dépend beaucoup des circonstances du moment. L’objectif principal est d’assurer que la délibération parlementaire puisse se poursuivre dans des conditions correctes. Il s’agit là d’un art difficile qui dépend d’une multitude de facteurs tels que l’attitude du député fautif et de ses amis politiques (qui peuvent se révéler plus ou moins jusqu’au-boutistes dans la provocation), celle des autres parlementaires (qui peuvent se montrer plus ou moins indignés et donc plus ou moins demandeur de sanction), la stratégie retenue par la présidence ou encore le rapport de force politique au sein du bureau. Cela explique que des comportements en apparence comparables peuvent recevoir, selon les circonstances, des réponses différentes.

Cette explication ne peut toutefois entièrement justifier d’éventuelles différences de traitement, notamment lorsqu’il est question de sanctions disciplinaires très lourdes décidées dans l’urgence selon des procédures rudimentaires et insusceptibles de recours devant aucune juridiction interne. Il faut ajouter à cela que le recours accru aux sanctions disciplinaires depuis 2022 ne semble porter que des fruits modestes : les évènements évoqués ici témoignent du fait qu’une partie des députés n’hésite pas à jouer avec le règlement, voire à y désobéir ouvertement s’ils estiment que le bénéfice politique est supérieur au coût de la sanction. Le débat autour des sanctions disciplinaires à l’Assemblée ne fait sans doute que commencer, d’autant que le député Delogu – comme d’autres députés insoumis avant lui – a fait part de sa volonté de porter sa cause devant la Cour européenne des droits de l’homme pour contester ce qu’il estime être un abus de pouvoir.