Par Jean-Paul Céré, Professeur à l’université de Pau et des Pays de l’Adour

La surpopulation carcérale constitue un traitement inhumain et dégradant en droit européen

La protection européenne de la dignité humaine intègre sans conteste les conditions générales de détention depuis l’arrêt Kudla c. Pologne (CEDH 26 oct. 2000, n° 30210/96). En attestant que l’exécution d’une peine de prison ne doit pas soumettre « l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérente à la détention », la Cour européenne retient l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme indépendamment de toute volonté d’humiliation des détenus. Le seul constat objectif de conditions de vie déficientes suffit à générer une violation de cet article. La France n’y a pas échappé, notamment dans un arrêt JMB du 30 janvier 2020 qui regroupait 32 requêtes (J.M.B. et autres c. France, n° 9671/15). Outre les conditions de détention indignes, il faut retenir une condamnation pour violation du droit de recours au sens de l’article 13 de la Convention. En effet, la Cour européenne a considéré que les recours offerts aux détenus n’étaient pas effectifs dans la mesure où une double exigence doit prévaloir, à savoir un recours préventif (permettant de mettre un terme à la violation de l’article 3) et un recours indemnitaire (permettant de réparer le préjudice subi).

Les évolutions récentes du droit interne s’accordent-elles avec le nécessaire respect de la dignité humaine ?

L’arrêt JMB c. France, en mettant en exergue le problème structurel de la surpopulation carcérale et l’inefficience des réponses juridiques, a emporté des évolutions rapides. La chambre criminelle a opéré un revirement de jurisprudence remarqué en consacrant pour la première fois l’opérationnalité du respect du principe de la dignité des personnes placées en détention provisoire par la possibilité de libérer la personne, le cas échéant sous surveillance électronique (Cass. crim. 8 juillet 2020, n° 20-81.739). Cette issue toutefois ne concernait pas les personnes condamnées. Le Conseil constitutionnel de son côté, dans une décision du 2 octobre 2020, en l’état des limites de l’office du juge administratif, a exigé de créer un recours juridictionnel permettant au justiciable d’obtenir qu’il soit mis fin à des conditions de détention indigne (Cons. const. 2 oct. 2020, n° 2020-858/859, QPC).

Le législateur est alors intervenu avec la loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 instituant un nouveau recours devant le juge judiciaire pour mettre un terme aux conditions indignes de détention, devant le juge des libertés et de la détention pour les prévenus et devant le juge de l’application des peines pour les condamnés (art. 803-8 du code de procédure pénale). Au vu de l’augmentation exponentielle de la surpopulation carcérale, force est cependant de constater l’échec des réponses apportées.

L’état de surpopulation carcérale est-il tolérable ?

La récurrence du phénomène de la surpopulation pourrait laisser entendre qu’aucune échappatoire n’existe. En réalité, la dernière étude européenne (Conseil de l’Europe, SPACE I, « Prison populations », PC-CP (2022) montre que le taux français de 115,7 détenus pour 100 places – qui a fortement augmenté depuis – situait la France parmi les neufs pays dont la densité carcérale est supérieure à 100 places (sur 46 pays). Seuls deux États (Chypre et Roumanie) connaissent une densité carcérale supérieure à la France. Il est donc avéré que la surpopulation carcérale concerne une minorité de pays en Europe.

La réponse pour la France tient principalement dans l’élaboration d’un énième programme de construction de nouveaux établissements pénitentiaires (17 000 places supplémentaires à l’horizon 2027) dont le fardeau pour les finances publiques apparaît de plus en plus douloureux (V. le rapport de la Cour des comptes), alors même que l’augmentation du parc mène en réalité à un usage plus fréquent de la peine privative de liberté, ce qui a pour effet d’absorber les nouvelles capacités et peut inciter d’ailleurs à recourir plus fréquemment à la détention provisoire qui atteint déjà un taux fort élevé (plus de 26 % et en augmentation de 4,2 % entre mars 2023 et 2024). Or, les expériences étrangères démontrent que le phénomène de surpopulation carcérale ne peut-être endigué qu’en ambitionnant une politique pénale et pénitentiaire globale et cohérente. La multiplicité de rappels à l’ordre récents (not. décision du 12/14 mars 2024 du Comité des ministre du conseil de l’Europe, avis du 14 sept. 2023 du contrôleur général des lieux de privation de liberté), invitent désormais à adopter urgemment une réponse puissante et de réfléchir sérieusement à instaurer un mécanisme national de régulation carcérale, tel que suggéré opportunément par les Etats généraux de la justice.