Par Diana Villegas, Maître de conférences, Droit privé et sciences criminelles à l’Université Paris Panthéon-Assas

Certains ont parlé, à propos de l’assassinat de Shemseddine à Viry-Châtillon, d’un « crime d’honneur », expression ô combien choquante. Est-ce à dire que, pour certains, il existerait un ordre extra-étatique qui, au nom du respect supposé de « certaines valeurs » (en l’espèce, la réputation d’une jeune fille), imposerait ses propres normes et règles ?

Une normativité parallèle peut en effet s’imposer dans certains groupes sociaux. Non pas que le Droit – celui de l’État, précisons-le – ait disparu. Le Droit existe bel et bien, mais il n’est jamais seul à gouverner la vie des gens. Il se confronte, depuis toujours, aux mœurs, aux coutumes, aux usages, à la culture, avec d’autres règles sociales. En clair, un ordre extra-étatique. Parmi ces règles, par exemple, les ragots, les rumeurs et les commérages constituent une forme de contrôle social redoutable. Or, la force normative de ces règles parallèles à l’état de droit, comme dans le cas de Shemseddine, peut être à l’origine d’une violence extrême, une vendetta, un crime, qui entre alors en concurrence avec la justice étatique. Fondé sur une prétendue « honorabilité », ce système de contrôle social négatif instaure une responsabilité élargie (transgénérationnelle, intemporelle, extraterritoriale) où l’offense doit être punie. Les exemples de justice sociale parallèle abondent dans l’histoire : provoquer en duel, se faire harakiri

Le « crime d’honneur », lui, trouve son fondement dans le mécanisme de loyauté à un groupe, à ses règles propres, à ses codes, qui rappellent d’ailleurs les rites de virilitégansteriels. Il n’y a pas que la mafia qui se fonde sur l’onorata società. Le « crime d’honneur » rappelle en effet les codes mafieux en ce qu’il s’inscrit dans une démarche collaborative, collective, organisée et préméditée. « Dans un cas sur huit au Royaume-Uni, il a été fait appel à des tueurs à gages qui n’auraient pas été rémunérés. Ils étaient d’avis que c’était la chose à faire afin de restaurer le « prétendu honneur » » (Conseil de l’Europe, « Renforcer la lutte contre les “crimes d’honneur” », 2021).

Que dit le droit face à ce que d’aucuns nomment donc «crime d’honneur » ?

Le Conseil de l’Europe est catégorique : le “crime d’honneur” ne relève pas du droit ! Il est relégué au statut de pratique (culturelle, coutumière, religieuse ou traditionnelle par certains groupes sociaux ou certaines communautés). Un crime est un crime, point. Nul honneur ici. Quant au droit, il a ses propres règles pour protéger l’honneur, garanti notamment à travers l’interdiction de la diffamation et de l’injure (art. 8 de la Convention EDH). En revanche, « aucune tradition ni aucune culture ne sauraient se prévaloir d’un quelconque honneur pour porter atteinte aux droits fondamentaux » (Conseil de l’Europe – Assemblée Parlementaire, Résolution 1681, 2009). De même, la Convention d’Istanbul incite-t-elle les États à proscrire une quelconque exception culturelle pour obtenir une atténuation de la responsabilité pénale ou, pire, justifier un « crime d’honneur » (art. 42). La France adhère à ces principes (art. 122-1 et s. du Code pénal). Le Code pénal prévoit même une circonstance aggravante (art.132-76 du Code pénal). Rappelons également que le principe d’indifférence de mobiles s’impose en droit pénal français (art.121-3 du Code pénal).

A la lumière du drame de Viry-Châtillon, un nouveau changement de politique pénale à l’égard des mineurs est-il souhaitable?

Atténuation de l’excuse de minorité, comparution immédiate, composition pénale, responsabilité parentale, placement en internat, travaux d’intérêts général… En réalité, une partie de mesures proposées par le Premier ministre, Gabriel Attal, lors de sa prise de parole jeudi dernier à Viry-Châtillon, existent déjà (par ex. art. L121-7 du Code de justice pénale des mineurs ; art. 227-17 du Code pénal). Pour les autres, leur mise en place ou leur généralisation entrainerait la méconnaissance de l’essence même de la justice pénale des mineurs qui se fonde sur le principe de la « primauté de l’éducatif sur le répressif » (art. L11-2 du Code de la justice pénale des mineurs et Cons. const. n° 2002-241DC du 29 août 2002).

À l’heure où la politique pénale internationale s’oriente vers des standards dits de Childfrienldy Justice, la France s’inscrit dans un nouveau durcissement de la justice des mineurs. Son efficacité restant à prouver, le risque est d’oublier qu’il s’agit ici d’enfants. Ils méritent des mesures adaptées à leur âge pour leur rappeler, sans angélisme aucun, qu’altérité doit rimer avec égalité (art. 1er de la Constitution).