Par Thierry Tauran, maître de conférences à l’Université de Lorraine

Cet accord consolide-t-il le régime spécial de retraite de la SNCF ?

Il existe à la SNCF un régime spécial de retraite largement antérieur à la création de la Sécurité sociale en 1945. Il résulte historiquement d’une loi du 21 juillet 1909 relative aux conditions de retraite du personnel des grands réseaux de chemin de fer et d’un règlement dit « de 1911 » qui complétait cette loi. Il est actuellement régi par le règlement des retraites du personnel de la SNCF issu du décret n° 2008-639 du 30 juin 2008 (modifié). Il s’applique au personnel statutaire du groupe SNCF recruté avant le 1er janvier 2020. Les agents embauchés après cette date relèvent du régime général de la Sécurité sociale. Le régime spécial est géré par la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel ferroviaire située à Marseille.

Oui, l’accord collectif du 22 avril témoigne de la volonté de la SNCF et des organisations syndicales de cheminots de conserver et de consolider un régime de retraite spécifique, distinct de l’assurance vieillesse gérée par le régime général de la sécurité sociale.

La fin de carrière des cheminots est-elle vraiment améliorée ?

L’accord collectif a pour finalité de permettre aux agents de la SNCF de choisir leur fin de carrière. Ils pourront opter à compter de 2025 soit pour un départ à la retraite à l’âge légal assorti d’un montant de pension plus élevé, soit d’un départ anticipé à la retraite s’agissant des métiers ferroviaires dont la pénibilité est avérée. L’accord évoque notamment les perspectives d’évolution professionnelle des cheminots vers des postes non pénibles, une plus grande souplesse du temps de travail en fin de carrière avec, par exemple, la mise en œuvre de la cessation anticipée d’activité, des contreparties financières en faveur des agents qui occupent des postes dont la pénibilité est avérée ou encore la création d’un nouvel échelon.

Comme dans toute négociation collective, l’accord prévoit des modalités de suivi de l’application des nouvelles mesures, en concertation avec les organisations syndicales, pour définir, le cas échéant, des règles d’adaptation.

Par « fin de carrière », il faut comprendre les dix dernières années qui précèdent le départ à la retraite. Rappelons que le décret n° 2023-967 du 20 octobre 2023 relatif au régime spécial de retraite de la SNCF recule progressivement à compter du 1er janvier 2025 de deux ans l’âge de départ à la retraite, soit à de 57 à 59 ans pour les agents (et de 52 à 54 ans pour les roulants, c’est-à-dire les conducteurs de trains).

Le dernier accord collectif en la matière remontait à 2008. Il était devenu obsolète à la suite des trois réformes successives des retraites (réforme Sarkozy de 2010, réforme Hollande de 2014 et réforme Macron de 2023) qui ont eu des incidences sur l’âge de départ légal des salariés et sur le nombre de trimestres nécessaires pour une retraite à taux plein.

Par ailleurs, les relations de travail ont sensiblement évolué dans l’ensemble des entreprises, y compris au sein des entreprises publiques, avec la nécessité de prendre davantage en compte l’articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés. L’accord du 22 avril s’inscrit dans cette logique.

Quels vont être les coûts financiers de cet accord pour la SNCF ?

Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF, a déclaré que cet accord « va renouveler en profondeur les dernières années de carrière des cheminots. Et améliorer la prise en compte de la pénibilité tout en ouvrant de nouvelles perspectives d’évolutions professionnelles. Chaque salarié sera pleinement acteur de sa fin de carrière que chacun pourra déterminer selon sa situation personnelle ». En interne, la SNCF a réussi à calmer les ardeurs des organisations syndicales qui ont fait preuve en 2023 d’une grande hostilité à la réforme Macron des retraites. En accompagnant la fin de la carrière professionnelle de ses agents, le groupe SNCF atténue l’impact de cette réforme.

Il restera évidemment à déterminer le coût de cet accord collectif en termes de charges de personnel. C’est un euphémisme de dire qu’il n’est pas de nature à alléger l’endettement de la SNCF. D’ici à son entrée en vigueur le 1er janvier 2025, il faut s’attendre à quelques querelles de chiffres entre les différents protagonistes, à savoir l’Etat, la SNCF et les organisations syndicales. A ce jour, ces dernières ont bien compris que l’accord collectif constitue une étape fondamentale dans le devenir et la consolidation du régime spécial.

Puisqu’il s’agit d’un accord collectif, c’est logiquement à l’employeur (le groupe SNCF) d’assumer le coût qui va en résulter. En effet, l’employeur est tenu en droit du travail d’honorer les engagements qu’il signe avec les organisations syndicales représentatives. Néanmoins, étant donné l’endettement de la SNCF, ce sera logiquement à l’Etat (son autorité de tutelle) de mettre la main à la poche. En 2022 la SNCF avait une dette de 24,4 milliards d’euros que cet accord va encore creuser…