Par Clément Rouillier, Maître de conférences en droit public, Laboratoire interdisciplinaire de recherche en innovations sociétales (LiRIS, EA 7481), Université Rennes 2

Quels sont les faits reprochés ?

Samedi 11 novembre, deux jours après que la dissolution du Groupement Antifasciste Lyon et Environ (dit la GALE) a été confirmée par le Conseil d’État (CE Sect. 9 nov. 2023, Groupement Antifasciste Lyon et Environ et autres, req. n° 464412), une cinquantaine de militants d’extrême droite lyonnais a attaqué une conférence sur la Palestine organisée par le collectif Palestine 69 à coup de battes de baseball, de barres de fer, de matraques et de poings-américains, avant de défiler dans le quartier du Vieux-Lyon en chantant des slogans fascistes. L’attaque a été revendiquée sur la boucle Telegram identitaire néonazie Ouest Casual. Si cette attaque témoigne avec acuité de la justesse du combat que menait la GALE dans une ville où l’extrême droite est très présente, elle pose également la question de la dissolution de ces collectifs.

Plusieurs groupes et institutions différentes étaient impliqués dans l’attaque : le collectif fasciste Les Remparts, son démembrement Guignol Squad sous le nom duquel se réunissent ponctuellement les militants d’extrême-droite lyonnais pour effectuer des opérations coup de poing, le bar la Traboule et la salle de boxe l’Agogé, deux lieux ouverts par Génération identitaire avant sa dissolution, servant de base-arrière à l’extrême-droite lyonnaise). La question de la dissolution concerne plus particulièrement les deux collectifs Les Remparts et Guignol Squad, le bar et la salle relevant pour leur part d’une fermeture administrative.

Quels pourraient être les fondements d’un décret demandant la dissolution de ces groupes ?

L’attaque de la conférence tombe indéniablement sous le coup de la provocation à une manifestation armée (art. L. 212-1, 1°, du code de la sécurité intérieure). En effet, la jurisprudence considère que le fait d’organiser et contrôler une manifestation armée suffit pour entraîner la dissolution (CE, 2 fév. 1977, Siméoni, req. n° 01064, Rec. p. 59) ainsi que le fait de la revendiquer (CE Ass., 21 juill. 1970, Sieurs Krivine et Franck, req. n° 76179 et a., Rec. p. 499). La possession d’armes de catégorie D (c’est-à-dire dont l’acquisition et la détention sont libres, comme une batte de base-ball, une matraque ou un poing-américain) dans une manifestation a déjà permis la dissolution d’autres groupes d’extrême-droite lyonnais, comme le Bastion social en 2019 (décret du 4 nov. 2020, JO du 5 nov. 2020). Par ailleurs, le fait de chanter des slogans fascistes contre les étrangers ou de revendiquer l’affichage d’une pancarte raciste et xénophobe (v. compte Instagram des Remparts, 10 juin 2023) permet d’envisager leur dissolution pour incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciste et xénophobe (art. L. 212-1, 6°, du code de la sécurité intérieure). 

Dans ce cadre, la jurisprudence s’attache à l’idéologie défendue par le groupement dans ses actes, sans exiger que les incitations à la haine ou à la violence aient été effectivement suivies dans les faits. De plus, la jurisprudence estime que le fait pour un groupe de ne pas se dissocier d’individus condamnés pénalement pour violences aggravées (pour motif raciste par exemple) est un élément justifiant la dissolution (CE, 2 juil. 2021, Génération identitaire, req. n° 451741), ce qui permettrait de recouvrir la condamnation de plusieurs membres de l’extrême droite lyonnaise en juillet 2019 à l’occasion d’un match de la Coupe d’Afrique des Nations.

La dissolution est-elle une sanction efficace ?

En résumé, de nombreux faits permettraient d’engager la dissolution des Remparts et de Guignol Squad (même si cette dernière a moins de sens étant donnée la nature de ce regroupement ponctuel). Toutefois, le principal problème de cette procédure de dissolution reste son utilité. Ce n’est pas la première fois que des groupements d’extrême droite sont dissous à Lyon puisque le Bastion social et 6 autres collectifs l’ont été  en 2019, de même que Génération identitaire en 2021. La présence importante et très structurée des réseaux d’extrême droite à Lyon et leur fonctionnement par réseau affinitaire leur permet de se reformer sous d’autres noms. C’est ce à quoi on a pu assister avec la migration de militants d’extrême droite, au gré des dissolutions, du GUD aux Remparts, en passant par le Bastion social, Génération identitaire ou les Zouaves (basés, eux, à Paris). D’un point de vue juridique, des condamnations pénales pour regroupement de groupes dissous seraient plus efficaces, de même que la fermeture de leurs lieux de réunion, qui les priverait de leur visibilité et de leurs possibilités d’organisation et de recrutement.