Par Vanessa Barbé, professeur de droit public à l’Université de Valenciennes

Celle-ci se traduit non seulement par les nombreuses lois sur le financement de la vie politique, la limitation du cumul des mandats, la lutte contre la corruption et la transparence de la vie publique, mais aussi par l’assainissement des dépenses publiques et une réduction des traitements des responsables publics.

Quelle est la situation matérielle des députés et sénateurs français ?

Les indemnités

En application de l’article 25 de la Constitution, l’ordonnance n° 58‑1210 du 13 décembre 1958 porte loi organique relative à l’indemnité des membres du Parlement. Depuis le 1er janvier 2024, les indemnités mensuelles brutes s’élèvent à 7 637,39 € à l’Assemblée nationale et au Sénat, composées de l’indemnité de base (5 931,95 €), de l’indemnité de résidence (3 % de l’indemnité de base soit 177,96 €) et de l’indemnité de fonction (25 % du total des deux précédentes, soit 1 527,48 €). Des indemnités spéciales bénéficient également aux titulaires de certaines fonctions.

Le crédit affecté à la rémunération de collaborateurs

Les députés et sénateurs disposent d’un crédit affecté à la rémunération de collaborateurs, fixé mensuellement à 11 118 € par député et à 8 827,40 € par sénateur, pour recruter de une à cinq personnes. L’« affaire Pénélope Fillon » est à l’origine d’une remise en cause du système d’embauche des collaborateurs parlementaires dans loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique (qui dresse la liste des emplois familiaux prohibés).

L’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) puis l’avance de frais de mandat

Avant sa suppression en 2017, l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) était une indemnité forfaitaire versée mensuellement à chaque parlementaire afin de prendre en charge les frais inhérents à l’exercice de son mandat (location d’une permanence, déplacements, correspondance, frais de communication ou de représentation etc.). Au 1er février 2017, elle s’élevait à 5 372,80 € nets pour les députés, et à 6 109,89 € nets pour les sénateurs, exonérés d’impôts.

Les scandales relatifs à l’utilisation de l’IRFM ont entraîné des réformes ponctuelles. Notamment, la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique interdit l’utilisation de l’IRFM pour les dépenses électorales. L’imputation sur l’IRFM de toute dépense afférente à une nouvelle acquisition de biens immobiliers, qu’ils soient destinés à héberger la permanence ou à tout autre usage, est également interdite depuis une décision du Bureau de l’Assemblée nationale du 18 février 2015. Dans son rapport d’activité pour 2016[1], la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) décrit cet enrichissement personnel pouvant découler de l’utilisation de l’IRFM.

C’est pourquoi la loi sur la confiance dans la vie politique met fin à l’IRFM, et donne compétence au Bureau de chaque assemblée pour déterminer le régime des frais de mandat. Les députés et sénateurs sont défrayés sous la forme d’une prise en charge directe, d’un remboursement sur présentation de justificatifs ou du versement d’une avance par l’assemblée dont ils sont membres, dans la limite des plafonds déterminés par le Bureau.

L’avance générale n’est donc qu’une modalité de prise en charge des frais parmi d’autres. Par exemple au Sénat, le paiement direct est prévu pour des prestations clairement identifiées (transports, téléphonie) et dans la limite de plafonds. Toujours au Sénat, il existe en outre  trois avances spécifiques (6 000 € pour une période de trois ans au titre des dépenses informatiques ou bureautiques ; avance mensuelle de 1 500 € au titre de l’hébergement parisien en raison de la nécessité d’une double résidence ; avance mensuelle de 750 € au titre des obligations de représentation des sénateurs exerçant des fonctions particulières).

Comment est contrôlée l’utilisation de l’AFM ?

Le Bureau de chaque assemblée détermine les modalités selon lesquelles l’organe chargé de la déontologie parlementaire contrôle les dépenses en question. À l’Assemblée nationale, il s’agit du déontologue instauré par une décision du Bureau du 6 avril 2011. Au Sénat, il existe également un Comité de déontologie parlementaire depuis une décision du Bureau du 25 novembre 2009. Il est composé d’un sénateur par groupe politique.

À l’Assemblée nationale, l’utilisation de l’avance est contrôlée par le déontologue, en cours ou en fin d’exercice, par tirage au sort, sachant que tout député doit être contrôlé pendant son mandat, au moins une fois. Au Sénat, un programme de contrôle est établi par le comité. Les organes de déontologie peuvent être assistés par des prestataires extérieurs.

Les dépenses incluses dans l’avance sont au nombre de sept à l’Assemblée nationale, dix au Sénat. Les frais de mandat doivent être en lien avec la qualité de député ou sénateur et l’exercice du mandat, et avoir un caractère « raisonnable ». Les parlementaires doivent produire des justificatifs de leurs dépenses, et si les sommes ont été dépensées à tort, elles doivent être remboursées. Néanmoins, à l’Assemblée nationale, il est admis que 150 euros par semaine ne soient pas assortis de justificatifs (le rapport de la déontologue de 2019 évoque « l’achat d’un sandwich » ou d’un « billet de tombola »…), soit 7 800 euros par an. Au Sénat, le plafond de dépenses sans justificatifs est fixé à 13,4% de 6 600 euros, soit 885 euros par mois ou 10 620 euros par an. En outre à l’Assemblée nationale, les députés ne sont pas tenus de fournir au déontologue des informations confidentielles couvertes par « un secret protégé par la loi ou relatives à l’identité de tierces personnes ».

Comment sont contrôlées les dépenses des parlementaires à l’étranger ?

La suppression de l’IRFM était bienvenue, mais l’AFM et le contrôle de son utilisation semblent perfectibles. Notamment, les disparités des standards et des méthodes du contrôle entre les deux assemblées sont sources d’interrogations.

Mais surtout, l’augmentation des frais de mandat par les députés et sénateurs peut surprendre, car ce sont ses bénéficiaires eux-mêmes qui l’ont décidée. En revanche au Royaume-Uni, la compétence relative à la situation matérielle des députés est détenue par une autorité indépendante (Independant Parliamentary Standards Authority – IPSA) créée par le Parliamentary Standards Act 2009 à la suite de l’Expenses scandal (affaire des notes de frais). Elle est composée d’un président et de quatre membres nommés pour cinq ans, dont au moins un doit avoir eu des fonctions judiciaires, un expert-comptable et un ancien membre du Parlement. Les députés ne bénéficient pas d’une avance, mais leurs dépenses sont remboursées par l’IPSA dans la limite de plafonds précis.

Aux États-Unis, le système est également beaucoup plus strict. Tous les représen­tants doivent adresser chaque trimestre à l’administration de la Chambre un rapport détaillé sur l’utilisation de leur Members’ Representational Allowance (MRA), laquelle permet de couvrir les frais de mandat et d’embaucher des collaborateurs. Ce rapport décrit l’intégralité des dépenses que les représentants ont effectuées, et fait l’objet d’un audit par la Chambre, qui publie le détail de chaque dollar utilisé dans un document dénommé Statement of Disbursements (publié depuis 1964 et disponible en ligne depuis 2009).

En France, non seulement l’audit n’est pas systématique sur chaque dépense, et ses résultats ne sont pas rendus publics, mais en outre de nombreuses dépenses sont exclues du contrôle. Finalement, ce n’est peut-être pas tant le montant des avances des députés et sénateurs français qui pose problème, ni leur augmentation, mais le fait que l’AFM soit fixée par les parlementaires eux-mêmes, et que les contrôles soient insuffisants (ajoutons à cela que contrairement aux règlements des assemblées, les décisions du Bureau ne sont pas soumises obligatoirement au Conseil constitutionnel, et que les budgets des assemblées appartiennent à la dotation « Pouvoirs publics » de la loi de finances et ne font pas l’objet d’un examen de la Cour des comptes) car la « culture déontologique »ne semble pas encore être totalement intégrée par les élus.