Par Margaux Bouaziz- Maîtresse de conférences à l’Université de Bourgogne (CREDESPO)
Le 2 juin dernier Greg Abbott, gouverneur du Texas, a signé une loi interdisant l’accès aux soins liés à la transition pour les personnes transgenres mineures. Cette loi s’inscrit dans la politique anti-LGBTQI+ menée par les Républicains, dans la perspective de la prochaine élection présidentielle, qui vise en particulier les personnes transgenres.

Dans quel contexte certains États américains ont-ils adopté des lois anti-LGBT ?

Depuis quelques années, certains États à majorité républicaine ont orienté leur politique sur les questions LGBTQI+ afin de diviser les Démocrates et de conquérir une partie de leur électorat perçue comme économiquement libérale, mais socialement conservatrice. Cette nouvelle stratégie s’illustre dans une série de lois relatives aux droits des personnes appartenant à la communauté LGBTQI+ et en particulier des personnes transgenres.

Ces lois anti-LGBT ont pris plusieurs formes : l’interdiction de discuter dans les écoles publiques de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre (lois appelées ne dites pas ‘gay’ ou don’t say gay bills), l’interdiction de l’accès aux toilettes correspondant à leur identité de genre pour les personnes transgenres, l’interdiction pour les personnes transgenres de prendre part aux activités sportives dans les équipes correspondant à leur identité de genre, l’interdiction des performances de drag-queens dans l’espace public et la restriction de l’accès aux soins médicaux nécessaires à la transition. Ces lois sont adoptées dans les États à majorité républicaine comme l’Alabama, l’Arizona, l’Arkansas, la Floride, la Géorgie, l’Idaho, l’Indiana, l’Iowa, le Kansas, le Kentucky, la Louisiane, le Mississippi, le Missouri, le Montana, le Dakota du Nord, l’Oklahoma, la Caroline du Sud, le Dakota du Sud, le Tennessee, le Texas, l’Utah, la Virginie-Occidentale et le Wyoming.

Près de la moitié des États (vingt-trois sur cinquante) ont ainsi adopté des lois visant les personnes LGBT afin de lancer une guerre culturelle qui s’accompagne aussi souvent de lois « anti-woke » qui restreignent l’enseignement des questions liées à l’histoire des personnes noires aux États-Unis. Une des campagnes les plus virulentes est ainsi menée en Floride par le candidat à la présidentielle Ron DeSantis. Certaines de ces lois ont été suspendues par des décisions juridictionnelles, mais la plupart ont pu entrer en vigueur.

Certains journalistes américains décrivent ce contexte comme un « état d’urgence LGBTQ ».

Quelles sont les lois visant spécifiquement l’accès aux traitements médicaux pour les personnes transgenres ?

Vingt États ont adopté des lois restreignant ou interdisant l’accès aux traitements médicaux nécessaires à la transition pour les personnes transgenres. La première des lois de ce genre a été adoptée en Arkansas en 2021 et depuis une vingtaine d’États au total en ont adopté des similaires. Ces lois, le plus souvent, interdisent entièrement l’accès à des traitements médicaux et chirurgicaux pour les enfants transgenres. Elles en restreignent également l’accès pour les adultes en prévoyant par exemple qu’ils ne seront pas remboursés par la sécurité sociale (Medicaid). Ces politiques prévoient parfois également de priver de leurs droits parentaux les parents qui soutiendraient leurs enfants dans leur transition. Elles peuvent aussi viser les médecins offrant un tel suivi médical. Une loi de l’Oklahoma prévoit, par exemple, des poursuites pénales pour les médecins offrant des soins médicaux liés à la transition à des adolescents.

La dernière de ces lois a été adoptée au Texas et signée par le gouverneur Greg Abbott le 2 juin dernier. Cette loi interdira, à compter du 1er septembre, les transitions médicales pour les enfants transgenres qui ne pourront ainsi plus accéder aux traitements nécessaires à leur transition ou retardant leur puberté comme des bloqueurs d’hormones. Cette politique ne correspond pas aux recommandations des instances médicales pédiatriques américaines. Greg Abbott a également souhaité engager des poursuites pour maltraitance à l’encontre des parents soutenant leurs enfants. Non seulement ces familles ne pourront plus avoir accès aux traitements au Texas, mais les parents risqueraient de perdre la garde de leur enfant, voire d’être pénalement poursuivis, s’ils obtenaient ces traitements dans un autre État.

Quelles seront les suites judiciaires ?

Pour l’instant, les associations de protection des droits civiques et des droits des personnes LGBTQI+ ont formé plusieurs recours en justice devant des cours fédérales afin de contester la constitutionnalité des lois en cause. La plupart de ces recours n’ont pour l’instant mené qu’à des décisions prononcées en urgence et en référé et sont encore en attente de jugements au fond.

Les premières décisions juridictionnelles rendues en la matière sont partagées. Certaines lois ont été suspendues et n’ont pu entrer en vigueur, alors que d’autres sont entrées en vigueur en attendant que les juges se prononcent au fond. Par exemple, un juge de première instance, confirmé par un juge d’appel, a refusé de suspendre une loi de l’Arizona prévoyant l’absence de remboursement des traitements liés à la transition. À l’inverse, une loi du Tennessee interdisant les performances des drag-queens en public a été suspendue en raison de sa probable inconstitutionnalité au regard de la liberté d’expression protégée par le premier amendement. De même, des lois de l’Alabama, de l’Arkansas et de la Floride, interdisant les traitements liés à la transition pour les mineurs, similaires à celle que Greg Abbott vient de signer, ont été suspendues, ou écartées, par des juges fédéraux comme étant probablement inconstitutionnelles au regard du principe d’égale protection des lois prévu par le quatorzième amendement.

Ces affaires pourraient à terme être portées devant la Cour suprême qui devrait alors trancher sur le caractère constitutionnel ou non des restrictions ainsi apportées au droit des personnes transgenres. Il est difficile de prédire ce que la Cour déciderait. La plupart des recours sont fondés à la fois sur le principe d’égale protection des lois garanti par le quatorzième amendement (Equal Protection Clause), les droits processuels, en particulier les droits parentaux, du quatorzième amendement (Due Process Clause) et la liberté d’expression du premier amendement (principalement pour les médecins). D’après les requérants, l’interdiction des traitements liés à la transition présente une discrimination fondée sur le genre qui ne serait pas justifiée par un intérêt général suffisant, ces lois limiteraient la liberté des parents dans l’éducation de leurs enfants et restreindraient excessivement la liberté d’expression des médecins qui ne pourraient plus conseiller leurs patients.

Certaines lois interdisant l’accès aux traitements médicaux ont été suspendues par les juges fédéraux, en l’attente de jugement en fond, comme en Arkansas et en Alabama. De même, un jugement a été rendu en Floride par un juge fédéral le 6 juin qui considère que la loi qui interdit l’accès aux soins liés à la transition aux mineurs est inconstitutionnelle. Si ces discriminations sont considérées comme fondées sur le genre, elles ne peuvent être admises qu’en raison d’une justification extrêmement convaincante ; la loi doit être substantiellement liée à un intérêt étatique suffisamment important. En l’espèce, les juges soulignent que ces lois ont un objectif discriminatoire qui n’est pas justifié par un intérêt étatique suffisant. À l’inverse, certaines lois n’ont au contraire pas fait l’objet d’une suspension, comme la loi de l’Arizona qui prévoit de ne pas rembourser les soins médicaux liés à la transition.

En 2020, la Cour suprême s’était prononcée sur le point de savoir si la discrimination des personnes transgenres constituait une discrimination sur le genre, qui serait interdite par la loi interdisant les discriminations professionnelles fondées sur la race, la couleur, la religion, la nationalité ou le sexe. La Cour avait alors considéré à la majorité de six contre trois, que renvoyer une personne simplement parce qu’elle était homosexuelle ou transgenre constituait une violation de cette loi. La Cour ne s’est pour l’instant pas prononcée sur le point de savoir si de telles discriminations sont également interdites en application du quatorzième amendement. Il est possible qu’elle transpose ce raisonnement par analogie. Cependant, même si elle décidait de le transposer, il lui appartiendrait alors de déterminer si la discrimination imposée par les lois « anti-trans » est justifiée par un intérêt étatique suffisamment important.

La question des droits des personnes LGBTQI+, et en particulier des personnes transgenres, est au cœur de la bataille culturelle que les Républicains ont décidé de mener. Les lois risquent donc de continuer à se multiplier et les recours juridictionnels avec elles au cours de la campagne présidentielle de 2024 qui a déjà commencé et il n’est pas sûr que la Cour suprême choisisse d’intervenir dans le débat pour l’instant.

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