Par Jean-Yves Maréchal, Professeur à l’Université de Lille

Pour faire suite à des déclarations du Premier ministre a été publiée, le 29 avril dernier, une circulaire « relative au traitement judiciaire des infractions commises à raison de l’appartenance ou de la non-appartenance à une religion, dans un contexte séparatiste ou d’atteintes portées au principe de laïcité ». L’objectif est de recourir  au droit pénal pour faire respecter le principe de laïcité lorsque des actes de violence sont liés à la manière dont une religion est pratiquée. La circulaire expose quels moyens peuvent être utilisés à cette fin et enjoint aux magistrats du ministère public de les utiliser. Il convient de s’interroger, d’abord, sur cette technique de la circulaire adressée aux membres du parquet avant d’examiner son contenu et de se demander quels effets elle pourrait produire. 

En quoi consiste la technique de la circulaire du ministre de la justice ?

En vertu de l’article 30 du Code de procédure pénale, « le ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement » et « à cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales ». Ce texte exprime le principe de la subordination hiérarchique des magistrats du ministère public, procureurs généraux et procureurs de la République, au garde des Sceaux. Ce dernier dispose du pouvoir, non pas d’intervenir dans des affaires particulières, ce qui est prohibé par l’alinéa 3 du texte, mais de diffuser des instructions de politique pénale sous forme de circulaires par lesquelles il indique comment il entend que soit exercée la poursuite des infractions devant les juridictions pénales. En d’autres termes, il revient au ministre de la justice, comme à tout autre ministre, de conduire la politique déterminée par le gouvernement en matière de poursuite et d’exercice de l’action visant à faire appliquer la loi pénale.   

Que contient la circulaire du 29 avril 2024 ?

Le garde des Sceaux rappelle d’abord aux magistrats du ministère public l’existence de plusieurs infractions permettant de réprimer des actes commis à raison de l’appartenance ou de la non-appartenance à une religion, « dans un contexte séparatiste ou révélant des atteintes portées au principe de laïcité », cette formule vague n’étant pas explicitée. Il s’agit notamment du délit de discrimination, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une religion étant un des critères de la discrimination. L’infraction n’existe toutefois que si l’auteur accomplit un acte visé par l’article 225-2, tel que le refus de la fourniture d’un bien ou d’un service ou l’entrave à l’exercice normal d’une activité économique.

Il s’agit également des délits d’établissement par un professionnel de santé d’un certificat aux fins d’attester de la virginité d’une personne, de pratique d’un examen visant à attester de la virginité d’une personne et d’incitation à se soumettre à un examen visant à attester de la virginité d’une personne. La circulaire vise encore, par exemple, les pressions sur les croyances des élèves ou les tentatives d’endoctrinement de ceux-ci.  

En outre, la circulaire invite les procureurs de la République à avoir recours à l’article 132-76 du Code pénal qui définit une circonstance aggravante de tout crime ou de tout délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement, consistant en ce que les actes soient précédés, accompagnés ou suivis de propos, écrits, images, etc… qui soit portent atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, notamment, à une religion déterminée, soit établissent que les faits ont été commis contre la victime pour l’une de ces raisons. La rédaction très large du texte permet, selon le rédacteur de la circulaire, de l’appliquer « dans un contexte où les faits sont commis sur une victime en raison de sa religion, vraie ou supposée, sa pratique religieuse, son observance ou non de pratiques religieuses, leur nature, l’intensité ou la sincérité de celles-ci, sans qu’il n’y ait lieu de distinguer selon l’appartenance ou la non-appartenance de l’auteur des faits à cette même religion », cette dernière précision relevant de l’évidence puisque la circonstance aggravante se réfère à la religion de la victime et non pas à celle de l’auteur.

Quels effets attendre de la circulaire ?

Comme toute circulaire de politique pénale, celle du 29 avril 2024 ne peut avoir aucune conséquence automatique sur la poursuite d’infractions pénales parce que le principe de subordination hiérarchique évoqué précédemment se conjugue avec celui de l’opportunité des poursuites, en vertu duquel le procureur de la République n’est jamais tenu de poursuivre une infraction, ni de retenir une qualification déterminée, sauf cas rarissime où il reçoit une injonction de poursuite de la part du procureur général. Au demeurant, elle se borne à rappeler l’existence de textes qui ne semblent que très peu appliqués en pratique, sans doute en raison des difficultés pour établir les faits. Sur le plan juridique, elle présente donc un intérêt limité à l’affichage d’une volonté politique, sans doute sincère, de poursuivre certains actes contraires au principe de laïcité, sans qu’il soit possible d’en mesurer les effets, ce d’autant plus que la poursuite d’un auteur d’infraction n’implique pas sa condamnation.