Par Thibaut Fleury Graff, Professeur à l’Université Paris Panthéon-Assas, co-porteur du Projet « RefWar – Protection en France des exilés de guerre » (ANR 2019-2024)

Quel est le fondement juridique de cette première relocalisation vers le Rwanda ?

Le Royaume-Uni se prévaut d’un traité signé à Kigali en décembre 2023, puis ratifié par les deux Etats au terme d’un processus politiquement mouvementé – qui trouve son origine dans un premier accord, non contraignant juridiquement, conclu en 2022.

Pour de multiples raisons que nous avions déjà présentées ici – statut juridique incertain, violation de la Convention européenne des droits de l’Homme et de la Convention de Genève de 1951, entre autres – cet accord a été retoqué par le Cour Suprême britannique en novembre 2023, contraignant le gouvernement britannique soit à abandonner son projet, soit à modifier les dispositions jugées illégales. C’est la seconde option qui a été choisie, d’abord en introduisant une loi déclarant le Rwanda « pays tiers sûr » et limitant très fortement les possibilités de remettre en cause cette qualification (aveu, sans doute, de ce qu’elle qualifie moins des faits que les désirs du gouvernement), ensuite en remodelant le Memorandum of understanding de 2022 pour en faire un traité international en bonne et due forme. Ce sont donc ces deux textes – loi et traité – qui forment les principaux fondements juridiques de ce premier éloignement.

Quel est l’objet du traité entre le Royaume-Uni et le Rwanda qui fonde cet éloignement ?

Comme son prédécesseur mort-né de 2022, le traité organise, globalement et au motif de lutter contre l’immigration irrégulière, le transfert des personnes de nationalité étrangère arrivant irrégulièrement sur le sol britannique vers le Rwanda, charge pour ce dernier de statuer sur les droits au séjour des personnes ainsi relocalisées (art. 2).

Plus précisément, toute personne arrivant irrégulièrement sur le territoire du Royaume-Uni pourra – mineurs non-accompagnés exceptés (art.3§4) – être transférée au Rwanda, ce dernier s’engageant à mettre en place un système d’accueil, de traitement des demandes d’asile, et d’intégration conforme aux standards internationaux – l’ensemble de système étant décrit, y compris dans son volet institutionnel et de manière très détaillée, dans les Annexes du traité. Le Rwanda s’engage en outre à accorder aux personnes relocalisées sur son territoire un titre de séjour, quand bien même leur demande d’asile aurait, le cas échéant, été rejetée (art. 10) – et quand bien même le traité cesserait de produire ses effets (art. 21).

Un Comité de suivi est par ailleurs mis en place (art. 15), lequel sera chargé non seulement de la surveillance globale de l’application de l’accord, mais également de recevoir des plaintes individuelles dans le cas où les personnes relocalisées considèrent que l’accord n’a pas été respecté (art. 15§9). Le Rwanda s’engage enfin à renvoyer au Royaume-Uni ceux que ce dernier réclamerait à nouveau, dans le cas notamment où un recours contre le transfert aboutirait à une annulation de celui-ci (art. 11).

On notera pour conclure et  s’en tenir aux très grandes lignes de cet accord que rien n’y oblige le Royaume-Uni à relocaliser une personne – ni au Rwanda à l’accepter : ces décisions sont discrétionnaires (art. 4), et pourraient être conditionnées par des intérêts financiers. Le Royaume-Uni a en effet obtenu cet accord de Kigali contre le paiement d’une somme globale, destinée à mettre en place le système instauré par le traité, et d’une autre, pour chaque transfert réalisé. Or, le coût estimé est de plus de 2 millions d’euros… par personne transférée !

Cet accord est-il conforme aux prescriptions du droit international et européen ?

Pour prémunir ce nouveau traité des critiques qui avaient affecté le Memorandum de 2022, le Royaume-Uni a pris soin d’opérer un certain nombre de modifications. Ainsi en va-t-il notamment de l’obligation pour le Rwanda d’accorder un titre de séjour à toute personne relocalisée, de retourner au Royaume-Uni les personnes qui y auraient été transférées en violation de l’accord, ou encore de l’interdiction d’éloigner vers le Rwanda les mineurs non-accompagnés. Les violations les plus flagrantes ont donc été sinon tout à fait levées, au moins atténuées. Ces stipulations étaient absentes de la première mouture du texte.

La difficulté principale tient cependant à l’objet général de l’accord, qui considère le Rwanda comme un « pays tiers sûr » – ce qui prémunit le Royaume-Uni d’être en violation frontale du principe de non-refoulement prévu à l’article 33 de la Convention de Genève de 1951 et 3 de la Convention contre la torture de 1984 – alors que tout indique que tel n’est pas le cas : l’ONG Freedom House classe ainsi le Rwanda, dans son rapport 2024 (comme dans les précédents…), parmi les pays autoritaires, avec un score de 23/100 quant au respect des droits civils et politiques. Le pays s’était d’ailleurs illustré il y a quelques années, comme nous l’avions rappelé, par une répression sanglante de manifestations organisées par des…réfugiés contre leurs conditions d’accueil sur place.

Le système mis en place par le traité vise à éviter ce type de « difficultés ». Il est toutefois bien compliqué d’imaginer que, du jour au lendemain et sur la base de ce seul texte, le Rwanda parvienne à instituer un système de migration et d’asile, tant matériel qu’institutionnel, digne des démocraties occidentales.

Le Haut-Commissariat des Nations Unies ne s’y est pas trompé, qui rappelle dans son analyse du traité que les demandes d’asile doivent normalement être traitées dans l’Etat de première entrée de l’étranger concerné, et que cet accord s’inscrit plus globalement en contradiction avec la politique de solidarité internationale encouragée par le Pacte mondial sur les réfugiés adopté en 2018 par 181 Etats – Royaume-Uni et Rwanda compris.