Par Anne Levade, Professeure de Droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Quel est le fondement juridique du droit de dissolution ?

C’est l’article 12 de la Constitution qui prévoit que « Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale ».

Il s’agit d’un « pouvoir propre » du Président de la République, c’est-à-dire d’un pouvoir qu’il exerce sans contreseing du Premier ministre ou de ministres. Formellement, cela explique que le décret portant dissolution de l’Assemblée nationale soit signé par le seul Président de la République et se borne à disposer que l’Assemblée nationale est dissoute. Institutionnellement, cela signifie que le Gouvernement n’est pas politiquement responsable de cette décision.

C’est également un pouvoir inconditionné dont le chef de l’État use librement. Certes, l’article 12 prévoit que le Président doit procéder à des consultations mais celles-ci sont purement formelles dès lors que leur teneur n’est pas rendue publique et qu’elles ne lient pas le chef de l’État. Et, surtout, le Président apprécie en toute liberté les circonstances qui, de son point de vue, justifient que l’Assemblée doive être dissoute. Si la théorie du régime parlementaire conçoit la dissolution comme la contrepartie de la mise en cause de la responsabilité politique du Gouvernement, rien de tel dans la Constitution de 1958 : il n’est pas nécessaire que le Gouvernement ait été renversé pour que le Président puisse dissoudre l’Assemblée. La seule contrainte est qu’il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit.

Quelles sont les conséquences institutionnelles de la dissolution de l’Assemblée nationale annoncée par Emmanuel Macron ?

D’abord, la première conséquence de la dissolution de l’Assemblée nationale est l’interruption anticipée et immédiate des mandats des députés. Il est donc mis fin à l’ensemble des travaux en cours à l’Assemblée : les textes législatifs en discussion deviennent caducs et les missions d’information ou commissions d’enquête cessent.

Le Parlement étant bicaméral, bien que la dissolution soit sans incidence sur le mandat des sénateurs, la tradition républicaine veut que le Sénat cesse de siéger jusqu’à l’installation de la nouvelle Assemblée.

Ensuite, en application de l’article 12 de la Constitution, la dissolution entraîne obligatoirement l’organisation d’élections législatives dans un délai de « vingt jours au moins et quarante jours au plus ». C’est la raison pour laquelle Emmanuel Macron a annoncé, en même temps que la dissolution, que les élections se dérouleraient le 30 juin et le 7 juillet ; le décret convoquant les électeurs et fixant le déroulement des opérations électorales sera publié au Journal Officiel en même temps que le décret portant dissolution de l’Assemblée. Va donc s’ouvrir une campagne électorale contrainte par des délais très courts.

Enfin, au lendemain du second tour des élections législatives et quels qu’en soient les résultats, surviendront deux ultimes conséquences de la dissolution. D’une part, comme il est d’usage, le Premier ministre présentera la démission du Gouvernement et le Président de la République nommera un nouveau Premier ministre et, sur sa proposition, les membres du Gouvernement. D’autre part, la nouvelle Assemblée se réunira de plein droit, conformément à l’article 12 de la Constitution, « le deuxième jeudi qui suit son élection », soit le 18 juillet, pour élire son bureau et constituer les groupes parlementaires. Cette installation ayant lieu hors de la période de session ordinaire, « une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours ».

Cette dissolution diffère-t-elle des cinq précédentes ? Si oui, dans quelle mesure ?

En premier lieu, il faut rappeler que les dissolutions sont, dans tous les régimes parlementaires et spécialement sous la Ve République, suffisamment rares pour que chacune présente des spécificités. Bien sûr, on peut considérer que les dissolutions de 1981 et 1988, décidées l’une et l’autre par le même Président de la République – François Mitterrand – au lendemain de son élection et afin de disposer d’une majorité lui permettant de mettre en œuvre son programme présentent des telles similarités qu’elles constituent une catégorie ; pourtant, leurs conséquences diffèrent sensiblement puisque la première conduisit à une « vague rose » à l’Assemblée tandis que la seconde ne fit émerger qu’une majorité relative. De même, on évoque souvent une « pratique gaullienne » de la dissolution, oubliant que celle de 1962 faisait suite à un renversement du Gouvernement alors que celle de 1968 était une réponse aux événements de « mai 68 ». Enfin, la dissolution de 1997, initialement présentée comme « à l’anglaise » ou « de confort », demeure surtout dans les mémoires comme l’exemple unique d’une dissolution ratée. Dit autrement, les dissolutions ne se prêtent guère à la classification.

Mais, en second lieu, la dissolution décidée par Emmanuel Macron présente à l’évidence des spécificités.

D’abord, elle fait suite à une élection au Parlement européen. Il est vrai que le Président de la République a également évoqué la « fièvre » et le « désordre » qui se sont emparés du débat parlementaire mais, en décidant de dissoudre en réaction aux européennes, il a, de manière inédite, considéré que des élections intermédiaires et, qui plus est, pas strictement nationales créaient les conditions d’une crise qui ne pouvait être résolue qu’en « redonn[ant] » aux Français « le choix de notre avenir parlementaire ».

En résulte, ensuite, un effet surprise décuplé par la rapidité puisque la décision de dissoudre l’Assemblée a été annoncée aussitôt que prise et le calendrier des élections arrêté sur la base du plus court délai que la Constitution autorise.

Enfin, inédite est aussi l’annonce par le Président de la République de ce que, « dans les prochains jours », il « dir[a] l’orientation qu’[il] croi[t] juste pour la nation » et prendra ainsi personnellement part à la campagne.