Par Nicolas Vergnet, maitre de conférences en droit public à l’Université Paris Panthéon-Assas

Nous nous garderons bien d’émettre la moindre opinion quant à l’opportunité de la mesure sur le fond – faut-il augmenter les impôts ou non – mais observons néanmoins quelques aspects susceptibles d’en limiter la portée sur la forme.

Qui décide des augmentations et des baisses d’impôts en France ?

Il est utile de partir de l’article 14 de la Déclaration de 1789, aux termes duquel « [t]ous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ». Bref, l’impôt étant d’abord l’affaire des citoyens, il est impératif de recueillir leur consentement qui s’exprime, pour l’essentiel, par leurs représentants. Selon le Conseil constitutionnel, ce principe est concrètement mis en œuvrepar l’article 34 de la Constitution qui dispose que le législateur est seul compétent pour fixer les règles concernant « l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures » (v. p. ex. Cons. const., 18 juin 2010, n° 2010-5 QPC, SNC Kimberly Clark).

La « toute-puissance » ainsi conférée au législateur dans le domaine fiscal rencontre tout de même certaines limites. À titre d’exemple, l’article 13 de la Déclaration de 1789 précise que la contribution publique « doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Or, les élus du Peuple méconnaîtraient les facultés des contribuables qu’ils représentent si l’impôt qu’ils votent revêt un caractère confiscatoire : ils ne peuvent donc pas taxer parfaitement à leur guise et il arrive d’ailleurs que le Conseil constitutionnel censure des hausses d’impôts jugées « excessives » – pour approfondir le sujet, nous renvoyons à l’excellent ouvrage du Professeur M. Collet (« L’impôt confisqué », Odile Jacob, coll. Corpus).

Il existe donc une certaine « discordance » entre la compétence exclusive -donc en principe sans limite – conférée au Parlement en matière d’impôt … et la prescription faite à ce dernier de ne pas aller trop loin malgré tout. Indépendamment de l’avis que l’on peut avoir sur le sujet, il faut bien admettre que l’on comprend qu’une règle issue d’une norme supérieure à la loi puisse encadrer l’action législative. En revanche, la force obligatoire d’une règle de stabilité fiscale qui serait insérée dans la loi elle-même semble, pour sa part, inexistante puisque l’article 34 de la Constitution prévoit bien que le législateur fait comme il l’entend.

Qu’est-ce qu’une « règle d’or » en matière budgétaire ?

Les « règles d’or budgétaires » sont fréquemment mises en avant par leurs promoteurs comme une garantie de leur sérieux dans la gestion des finances publiques. Elles doivent manifestement leur appellation à la « règle d’or de l’accumulation », loi économique démontrée par E. Phelps en 1961 en application de laquelle l’optimisation de la richesse sur le long terme implique des investissements qui garantissent un rendement marginal du capital au moins égal au taux de croissance de l’économie. Transposée à la matière budgétaire, cette loi signifie tout simplement que celui qui s’endette doit s’assurer que le rendement des investissements ainsi financés permet de couvrir le service de sa dette (sur le sujet, v. G. Kopits & S. Symansky, Fiscal Policy Rules, Occasional Papers, FMI, 1998).

Dans le prolongement de cette logique, les règles d’or budgétaires prennent généralement la forme d’un encadrement du déficit public par une norme supérieure à la loi (on ne dépense pas plus que ce que l’on gagne, en quelque sorte). On en retrouve des applications dans divers pays (au Japon, aux Pays-Bas ou encore en Allemagne), mais également au niveau européen puisque l’on sait bien que le pacte de stabilité contraint les États membres à une engagement de maintien du déficit sous les 3% du PIB – la France vient d’ailleurs tout juste d’en faire les frais en se voyant signifier par la Commission européenne l’ouverture d’une procédure de déficit excessif à son encontre.

Il pourrait paraitre antinomique de parler de « règle d’or budgétaire » s’agissant d’un engagement de stabilité fiscale qui, par définition, a pour effet de réduire la marge de manœuvre de celui qui le prend dans la maitrise de son déficit public – seule la baisse des dépenses devient alors envisageable.

La loi peut-elle encadrer l’évolution des finances publiques ?

Il est vrai que la loi encadre déjà – quoique très indirectement – l’action financière du législateur. L’article 34 de la Constitution prévoit en effet également l’adoption de « lois de programmation », dont l’objectif est de présenter une trajectoire d’évolution pluriannuelle des finances publiques. Ces dernières n’ont cependant aucune valeur normative et sont, par ailleurs, sans effet direct sur les règles fiscales : elles se bornent à fixer des objectifs à atteindre.

Au reste, le caractère pluriannuel de ces lois cadre mal avec le principe d’annualité budgétaire qui, lui, implique une impossibilité d’imposer un plafond de dépenses au législateur. Pour ce qui est des recettes, les lois de programmation invitent d’ailleurs plutôt à une conservation de sa marge de manœuvre pour atteindre les objectifs qui lui sont fixés ainsi que les prévisions de rendement des impositions existantes.

Il est donc peu probable que le Conseil constitutionnel censure un jour une loi de finances prévoyant une hausse des impôts au motif qu’elle ne respecterait pas les objectifs fixés par une loi de programmation. L’on comprend bien de tout cela que l’engagement de stabilité fiscale évoqué par le Premier ministre – qui était d’ailleurs déjà proposé par Laurent Wauquiez en 2017 sous la même dénomination de « règle d’or » n’aura, en fait, jamais plus de valeur que celle d’une promesse faite à soi-même.