Par Étienne Douat, Agrégé de droit public, professeur à l’Université de Montpellier, président de la Société française de Finances publiques

Vers une dégradation du déficit et de la dette publique

La pandémie de Covid-19 a engendré un déficit public record en 2020 (-8,9% du PIB). Bien que la croissance ait permis une légère amélioration par la suite malgré la conjoncture internationale, marquée par la guerre en Ukraine et la crise énergétique, en 2023, le déficit a renoué avec des niveaux élevés, dépassant les 5% du PIB (5,5% du PIB).

Le rapport d’activité de l’année 2023 a été publié confirmant la hausse du déficit public. Malgré cette hausse, le gouvernement se veut optimiste et table sur des prévisions de croissance qu’il est seul à partager pour 2024. On risque donc d’avoir des surprises quand on connaîtra les résultats de l’année en cours.

Le gouvernement prévoit en effet un déficit public inférieur à 3% du PIB en 2027 mais la Cour des comptes n’y croit pas et elle a raison.  Le chiffre qui ne trompe pas, c’est celui de la dette publique car la dette, c’est le poids du passé.

Depuis la crise sanitaire, la dette publique française s’élève largement au-dessus du niveau du PIB de la France : 115% du PIB en 2020 et 110,6% en 2023. La France est le 3ème pays le plus endetté de l’Union européenne et se classe juste avant l’Espagne.

Malgré les efforts fournis, la boule de neige a grossi à un point tel que le jour où la dette publique française redescendra en dessous du niveau du PIB n’est pas près d’arriver. La hausse des taux, qui a commencé dès 2022, montre que nous sommes à la merci des financeurs. Les intérêts de la dette de l’État sont passés de 37,8 milliards pour 2021 à 53,8 milliards pour 2023. Petite différence à payer de 16 milliards d’euros.

La limite des prélèvements obligatoires a été atteinte avec 45,2 % du PIB en 2021 et 46,1 % pour 2022.

La France est championne du monde des prélèvements obligatoires, même la Finlande et le Danemark ont réduit leurs taux en dessous de ceux de la Norvège. Tout se passe comme si la France était devenue un pays scandinave plus gros que les autres avec une ouverture sur la Méditerranée.

Le premier président de la Cour des comptes constate cependant une insuffisance dans la croissance des prélèvements obligatoires (baisse de recettes comme les droits de mutation qui se sont effondrés à cause de la hausse des taux et la frilosité des banques qui craignent de prendre des risques). En réalité, c’est tout notre système de prélèvements obligatoires qui est en train de basculer : les cotisations sociales sont remplacées par des impôts qui rapportent davantage, les impôts d’État comme la TVA sont partagés avec les collectivités territoriales et la sécurité sociale, ce qui appauvrit le budget de l’État. La taxe d’habitation initialement supprimée pour faire baisser le taux de prélèvements obligatoires a finalement été compensée par de la TVA. On a remplacé le contribuable local par le contribuable national.

Le système est devenu morcelé et illisible, au point que le citoyen se demande à quel moment on lui demande son consentement.

La nécessité de voter une nouvelle loi de programmation des finances publiques

La Cour des comptes a une grande expertise des finances publiques. C’est pourquoi, elle préconise depuis longtemps de remettre en cause les dépenses. Non seulement les dépenses budgétaires mais aussi les dépenses fiscales. En effet, ce sont les dépenses supérieures aux recettes qui causent le déficit et le déficit qui alimente la dette. On le sait, les dépenses budgétaires sont excessives, nous sommes champions du monde des dépenses publiques avec en 2020 un taux qui a dépassé 60% du PIB, ce qui est incroyable. Depuis cette date, le taux est redescendu au-dessous des 60% mais on ne parvient pas à retrouver le niveau de 2019 avant la crise sanitaire (55,6%).

La France voit son taux de dépenses publiques toujours trop élevé en 2023, à 57,3% du PIB. La Cour formule d’excellentes suggestions mais qui les mettra en œuvre ? Qui aura le courage de prendre le taureau par les cornes ?

La Cour des comptes préconise de voter une nouvelle loi de programmation des finances publiques pour la période 2025-2027. Pourtant, la précédente loi de programmation, qui n’est pas une loi de Finances, a été adoptée grâce à l’article 49-3 de la Constitution. Quelle majorité va pouvoir se rassembler sur un tel objectif d’intérêt national ? Dans la situation politique actuelle, il est probable que les priorités dégagées par la Cour des comptes restent à nouveau dans l’oubli.

Le 14 décembre 2005, on avait demandé à Michel PÉBEREAU, président de BNP Paribas, de présider un comité pour que ce message soit délivré de façon crédible : Il fallait rompre avec la facilité de la dette publique. Le rapport ne faisait que redire, à sa manière, le message permanent de la Cour des comptes. Il n’a pas été entendu. Il y a peu de chances que ce même message fasse consensus dans la situation politique et institutionnelle actuelle.

Mais ne cédons pas au pessimisme ambiant et sachons fixer des priorités dans nos budgets publics pour financer la transition écologique. Les finances publiques ont un rôle de premier plan à jouer dans l’édification d’un monde moins polluant et plus respectueux de la nature. Voilà pourquoi le rapport de la Cour des comptes mérite d’être lu attentivement jusqu’au bout, car il ouvre des pistes innovantes et concrètes dans son 4ème chapitre sur l’adaptation au changement climatique. C’est de là que viendra le salut de nos finances publiques.