Emmanuel Gaillard s’est éteint dans l’exercice de son métier d’avocat, comme si devait rester de lui l’image mythique d’une vie absorbée par le travail. Le vide qu’il laisse est à la mesure de la place qu’il occupait, immense. Par ses nombreuses et remarquables contributions en tout genre et tout lieu, il en était parvenu à incarner l’arbitrage à la française et à rassurer la jurisprudence en la faisant bénéficier de son précieux soutien et de ses critiques constructives. Nous étions en symbiose de pensée sur de nombreux sujets relatifs au droit de l’arbitrage, sauf sur les nouvelles tendances en matière d’ordre public, où sa générosité m’a ouvert les colonnes du CLUNET pour une joute amicale et pacifique. Je garde de lui trois images : la première est celle du brillant étudiant participant aux leçons d’agrégation de ses aînés, qu’il allait bientôt rejoindre, dans cette engeance initiatique que l’on ne trouve nulle part ailleurs. La deuxième, celle du jeune avocat, au Cabinet Bredin et Badinter, maîtrisant et dirigeant un dossier, distribuant les rôles, découvrant les questions cachées. Ce qui m’a valu la consultation la plus originale de ma carrière : « le code civil algérien est-il du droit musulman ? ». Enfin, je le revois encore, il y a quelques semaines, plaideur redoutable mais courtois, où l’on opposait ses positions doctrinales au comportement de son client : du grand art. Et puis, il était le meilleur anglophone du monde : je le comprenais.

Ibrahim Fadlallah, Professeur émérite de l’Université de Paris X