Par Edouard Coulon, Maître de conférences, Droit public à l’Université de Lille

Quelle est la modification législative entrée en vigueur le 1er janvier 2024?

Les détenteurs de locations meublées touristiques sont soumis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. Les bailleurs de locations meublées, professionnels ou non, réalisant de faibles chiffres d’affaires bénéficient du régime des microentreprises. Ce régime prévoit une comptabilité simplifiée et un abattement sur le revenu tiré de cette activité qui représente les charges imputables sur les recettes. Avant 2024, les loueurs de meublés de tourisme classés ou de chambres d’hôtes bénéficiaient d’un abattement de 71 %, si le contribuable réalisait moins de 188 700 euros de chiffre d’affaires hors taxe par an pour ces activités. S’agissant des meublés touristiques ne se trouvant pas dans la catégorie précédente, le contribuable bénéficiait d’un abattement de 50 % en raison d’un chiffre d’affaires inférieur à 77 700 euros. Ce régime simplifié se présente alors comme étant plus avantageux que celui des locations nues dont les détenteurs ne bénéficient que d’un abattement de 30 %, si leur chiffre d’affaires est inférieur à 15 000 euros. Ce régime de faveur a pu être qualifié de « niche fiscale ».

L’article 45 de la loi de finances pour 2024 met fin à cet abattement pour les loueurs de meublés de tourisme. En effet, le nouvel article 50-0 du CGI limite le régime des microentreprises aux locations de meublés de tourisme réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 15 000 euros. Si une certaine confusion demeure au sujet de l’application de cette réforme aux meublés de tourisme classés, cette dernière entraîne le basculement de l’ensemble des contribuables dépassant ce seuil au sein du régime du réel dès le 1er janvier 2024. Ils doivent alors tenir une comptabilité, un compte de résultat et un bilan où se trouve le bien loué.

Quelle est la tolérance administrative instaurée ?

Cette situation constitue une difficulté pratique pour les contribuables qui n’ont pas tenu cette comptabilité durant l’année 2023 et doivent pourtant en présenter une en 2024 pour justifier leur déclaration sur le revenu.

Aussi, l’administration fiscale a publié une actualisation de son commentaire sur le régime fiscal de la location meublée touristique le 14 février 2024. Ce texte indique que l’Administration admet l’application du régime antérieur des microentreprises par les contribuables concernés par la réforme.

En agissant ainsi, l’Administration a limité l’application d’un texte législatif par sa doctrine administrative. Cette dernière constitue l’ensemble des textes où l’Administration fixe l’interprétation des lois et la manière dont elles doivent être appliquées. Ces textes sont essentiellement à l’intention de ses agents, mais leur publication leur donne un statut de source officieuse du droit pour les contribuables.

En tout état de cause, si l’Administration modifie la portée ou le contenu de la loi fiscale par le biais de ces textes interprétatifs, alors elle agit en violation du principe de légalité de l’impôt qui donne compétence au seul législateur pour le faire et sa doctrine est nécessairement illégale en raison de son incompétence.

Quelle est la décision du Conseil d’État?

Saisi par les recours pour excès de pouvoir de deux sénateurs, non admis au demeurant, et d’organismes de professionnels du tourisme, le 8 juillet 2024, le Conseil d’État a constaté l’illégalité de la doctrine administrative. Deux points peuvent alors être soulignés.

D’une part, selon le juge administratif, la doctrine administrative ne restreint pas le champ d’application de la réforme. Si ce commentaire ne semble traiter que de l’application du régime des microentreprises aux activités de location de locaux meublés de tourisme non classés, sa rédaction habile ne clarifie pas la situation des locaux meublés de tourisme classés.

D’autre part, le Conseil d’État constate l’illégalité de l’actualité en ce qu’elle limite l’application de la nouvelle version de l’article 50-0 du CGI. L’administration fiscale est incompétente pour agir ainsi. Cette décision du Conseil d’État est classique et logique et ne constitue pas un rappel à l’ordre spécifique à l’égard de l’Administration, au contraire de ce qu’ont pu déclarer les requérants. Mieux, elle ne devrait pas changer l’application du droit par l’Administration.

Qu’est-ce que cela change pour les contribuables?

Si la doctrine administrative est bien illégale, son annulation ne devrait pas avoir de conséquences pour les contribuables concernés. La solution du Conseil d’État arrive après la période de déclaration de l’impôt sur le revenu. Même si l’administration fiscale décide de revenir sur sa première parole, les contribuables devraient pouvoir tout de même se prévaloir de cette doctrine administrative. De plus, si jamais un contentieux devait se présenter devant le juge de l’impôt sur ce point, ce dernier donnerait sûrement raison aux contribuables et rappellerait le principe de limitation dans le temps des annulations de doctrines administratives favorables aux redevables.

En ce qui concerne la déclaration des revenus de 2024 en 2025, les contribuables concernés devront bien appliquer le nouveau texte ou attendre le vote du prochain projet de loi de finances ou d’une éventuelle proposition de loi. Sur ce sujet et peut-être à titre exceptionnel, une majorité devrait aisément se dessiner au Parlement dans le cadre de la nouvelle législature.