Par Sébastien Bernard, Professeur de droit public à l’Université Grenoble Alpes (Centre de Recherches Juridiques)

Qui détient le pouvoir de nomination des dirigeants des entreprises publiques ?

Les dirigeants des grandes entreprises publiques sont nommés par décret du Président de la République. En effet, s’ils ne font pas partie de la liste des emplois directement cités à l’article 13 de la Constitution, celui-ci renvoie également à une loi organique le soin de déterminer les autres emplois auxquels il est pourvu en conseil des ministres. Or, un décret du 29 avril 1959, pris en application de l’ordonnance du 28 novembre 1958 portant loi organique, dresse une seconde liste sur laquelle figurent plusieurs dizaines d’entreprises appartenant à l’Etat. Cette liste avait du reste été allongée par un décret pris en octobre 1985 alors que se profilait la première cohabitation, les observateurs y voyant un moyen pour le président François Mitterrand d’affirmer son pouvoir vis-à-vis du gouvernement. En effet, comme ils ne relèvent pas de l’un des pouvoirs propres prévus par l’article 19 de la Constitution, ces décrets de nomination doivent être contresignés par le Premier Ministre et les ministres responsables, ce qui implique un accord sur le choix du dirigeant pressenti.

Comment les nominations se sont-elles déroulées sous les cohabitations précédentes ?

En période de cohabitation, les nominations constituent toujours un enjeu politique non négligeable. Si le gouvernement a l’initiative des propositions – dans le cas des entreprises publiques, des textes prévoient aussi parfois l’intervention formelle des conseils d’administration des entreprises – le Président de la République peut refuser les nominations qui lui sont soumises. En pratique, dès la première cohabitation entre 1986 et 1988, François Mitterrand a demandé que l’inscription à l’ordre du jour des conseils des ministres de certaines nominations soit différée ou fait savoir qu’il n’entendait pas signer certains décrets. Le plus souvent pour obtenir que des postes honorables soient proposés aux dirigeants évincés. Cette pratique, reproduite lors des cohabitations de 1988, puis de 1997, n’a le plus souvent pas empêché le gouvernement de cohabitation de choisir les dirigeants qu’il souhaitait mais a pu retarder leurs nominations et a imposé un dialogue entre les deux têtes de l’exécutif. Au fond, ce pouvoir partagé conduit, en période de cohabitation, sinon à un partage des nominations entre l’Elysée et Matignon, du moins à la recherche d’un certain degré de consensus au sein de l’exécutif sur les personnalités nommées.

Des textes nouveaux doivent-ils être pris en compte pour une éventuelle cohabitation à venir ?

Oui. Si le cadre général posé au début de la Vème République concernant ce pouvoir de nomination reste le même, deux évolutions peuvent être cités. L’ordonnance du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique a précisé la procédure de nomination des dirigeants selon le type d’entreprise publique, mais il s’agit de dispositions techniques qui déterminent notamment les conditions dans lesquelles le conseil d’administration (ou de surveillance) émet une proposition, celle-ci étant très formelle dans la mesure où les représentants de l’Etat sont majoritaires au sein de l’organe délibérant d’une grande entreprise dont l’Etat détient plus de la moitié de la propriété. Quelle que soit la procédure de proposition prévue, la nomination doit toujours être concrétisée par un décret et ces dispositions nouvelles n’ont pas d’influence sur les relations Président / Gouvernement. En revanche, il n’y a pas eu de cohabitation depuis la révision constitutionnelle de 2008 qui a introduit la procédure figurant au cinquième alinéa de l’article 13. Celui-ci prévoit que, pour certains « emplois ou fonctions […], en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions ». Or, la loi organique du 23 juillet 2010 qui met en œuvre cette disposition constitutionnelle dresse une liste des emplois et fonctions sur laquelle les entreprises publiques figurent en bonne place. Autrement dit, même si les conditions pour que les parlementaires s’opposent à une nomination sont très exigeantes, cette procédure renforce la nécessité d’une proposition consensuelle pour qu’elle aboutisse. A défaut, un blocage – soit en amont entre le Président et le gouvernement sur la proposition à faire, soit en aval lors de la validation parlementaire – pourrait avoir lieu. Trouver une solution consensuelle risque de prendre du temps, surtout si l’on est dans un contexte de « cohabitation dure » peu propice à des négociations fluides et il est fort possible que des nominations tardent et imposent des intérims. On peut du reste relever que, si certains intérims se prolongent actuellement à la tête de grandes entreprises publiques (RATP, SNCF, Aéroports de Paris), la nouvelle procédure de l’article 13 alinéa 5 n’y est peut-être pas totalement étrangère puisque les commissions de l’Assemblée Nationale ne peuvent plus se réunir depuis la dissolution, interdisant de facto une nomination avant le démarrage de la nouvelle législature.