Propos recueillis par Delphine Iweins pour Actuel Direction Juridique.

La COP21 s’est achevée samedi dernier par un accord salué dans le monde entier. En quoi consiste-t-il ? Est-il contraignant ? Une place est-elle accordée aux entreprises et à la société civile ? Yann Aguila, avocat associé du cabinet Bredin Prat et président de la commission environnement du Club des Juristes nous éclaire.

L’accord de Paris n’est pas parfaitement abouti et ne répond pas à l’ensemble des critères juridiques nécessaires pour lui reconnaître un caractère contraignant. Néanmoins, il correspond à un « commencement » qu’il faut féliciter, pour l’avocat Yann Aguila.

Quel bilan dressez-vous de l’accord de Paris ?

C’est un bilan contrasté. Évidement, pour l’essentiel il faut se réjouir de l’accord, il est inespéré et extraordinaire. C’est un magnifique succès diplomatique. Le traité est un accord universel de 195 États qui présente un diagnostic commun à la fois sur le problème du réchauffement climatique et sur les solutions de réductions de gaz à effets de serre. C’est un mécanisme tourné vers l’avenir ; ce n’est qu’un commencement. S’il fixe un objectif ambitieux d’une limitation des températures à 1,5 degré, ses moyens sont insuffisants. Et lorsque l’on regarde les contributions volontaires, cela nous amène seulement à 3 degrés. Il existe une sorte de contradiction interne dans ce traité entre d’un côté, un objectif ambitieux, et de l’autre des contributions volontaires de chaque État qui sont insuffisantes. Ces dernières se situent largement en dessous des recommandations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et, plus largement, l’accord de Paris est loin des attentes des scientifiques.

L’accord de Paris a-t-il un caractère contraignant ?

Il existe trois conditions à remplir pour qu’un accord soit contraignant. D’abord, du point de vue de la forme : il doit être un acte juridique, un traité. C’est le cas de l’accord de Paris. C’est un véritable traité à la différence de l’accord de Copenhague qui n’était qu’une simple déclaration politique. Celui de Paris est un acte juridique qui va être ratifié par les États. Il est donc un acte contraignant qui, par exemple, pourrait être appliqué, un jour, par des juridictions nationales.

Le deuxième critère est celui de la rédaction des dispositions. Le traité peut être rédigé dans des termes plus au moins généraux ou impératifs. Par rapport à ce critère, il est vrai que l’accord de Paris n’est pas très contraignant. Il reste rédigé dans des termes généraux : les contributions chiffrées volontaires des États ne sont pas vraiment dans le traité, elles ne sont donc pas contraignantes.

Enfin, le dernier critère concerne l’existence d’un mécanisme de sanction efficace. En l’espèce, il n’y a pas grand-chose de ce point de vue. Dans une des premières versions de l’accord, il était pourtant prévu un tribunal climatique. Le protocole de Kyoto, par exemple, prévoit des sanctions financières, ce qui explique pourquoi il n’est pas ratifié par l’ensemble des États. A Paris, pour obtenir un accord universel, il a été privilégié de ne retenir aucune sanction. Seul un mécanisme de transparence oblige les États à rendre des comptes. L’accord renvoie à une future décision de la COP21 pour préciser les procédures de contrôle et de sanctions. Cela dit, comme c’est un traité, il n’est pas impossible que des citoyens saisissent un juge national pour lui demander de sanctionner un État ou lui ordonner de respecter ses engagements internationaux.

Des dispositions de ce traité visent-elles particulièrement les entreprises ?

Un traité ne peut pas concerner des entreprises directement. Ce sont des acteurs très important en pratique, mais le traité, lui, ne s’adresse qu’aux États. Dans le contexte particulier de cette négociation, un agenda des solutions, organisé en parallèle, a pris des engagements mais ils ne sont pas juridiques.

Les obligations de l’État aboutissent souvent à transposer dans sa législation nationale des dispositions du traité, qui, elles, s’adresseront aux entreprises, mais aussi à l’ensemble des citoyens. L’État se débrouille comme il veut pour atteindre ses objectifs, notamment en imposant des normes de réductions de gaz à effets de serre aux entreprises et aux collectivités territoriales. Cependant, pour le moment, nous en sommes encore au stade des généralités du traité, nous ne savons donc pas quels types de dispositions précises pourront être déclinées. Le traité ne rentre pas dans ce détail, ce n’est pas son objectif immédiat.

La société civile et les entreprises ont-elles bien pris la mesure du risque climatique ?

Les entreprises, les ONG, les collectives territoriales et toute la société civile sont concernées. Elles jouent, de plus en plus, un rôle et participent, plus ou moins, aux négociations. Cependant, le droit n’a pas encore tiré toutes les conséquences de l’évolution des pratiques. Les règles de droit international reposent encore sur une fiction : un droit fait par les États pour les États et dans lequel la société civile n’est pas un sujet de droit. Elle ne peut donc pas former de recours en droit international.

Que préconisez-vous pour que de futurs traités soient plus efficaces ?

A l’avenir, il faudrait que nous réfléchissions à un autre mode de gouvernance mondiale de l’environnement. Le vice se loge dans le processus lui-même : 195 États ont chacun une voix. Ce processus normatif est inefficace et inadapté à l’urgence des mesures à prendre, ce que nous dénoncions déjà dans notre rapport du Club des Juristes, publié le 23 novembre dernier. Est-il bien raisonnable d’avoir un mécanisme de décision aussi irrationnel par rapport à la gravité du sujet ? Plusieurs pistes sont possibles. Il faudrait aller vers un mécanisme de gouvernance où une institution internationale déciderait, avec des majorités qualifiées, d’élaborer des normes. Les États devraient léguer une partie de leurs pouvoirs normatifs à cette institution – par exemple une organisation mondiale de l’environnement ou un mécanisme onusien – ou introduire davantage la société civile.

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