Commissaire aux comptes à Paris, Emargence
Ancien Président de la Compagnie Régionale de Commissaires aux comptes de Paris
Président d’honneur de la Fédération Nationale du syndicat Experts-Comptables de France

Le Club des juristes : Quel est le rôle d’un commissaire aux comptes ?

Serge Anouchian : Le rôle essentiel du commissaire aux comptes est de vérifier la sincérité et la régularité des comptes de la société pour laquelle il est nommé. Ses fonctions sont soit rendues obligatoires par la loi pour les entreprises de certaines tailles, soit par la volonté des associés et dirigeants de la société. Il veille également au respect de l’égalité entre actionnaires.

La loi lui confie par ailleurs deux autres missions :

  •  l’obligation de révéler au procureur de la république toutes les infractions qu’il aurait pu constater dans l’exercice de sa mission
  • une mission spécifique dans la prévention des difficultés des entreprises, dite d’alerte, qui peut aller jusqu’à transmettre au président du tribunal de commerce, une note expliquant les difficultés de trésorerie de l’entreprise susceptibles de mettre en cause sa pérennité.

Dans cette dernière mission, on devine facilement l’intention du législateur d’anticiper toute difficulté de l’entreprise, de favoriser sa pérennité afin de sauvegarder l’emploi, tout en évitant ou en limitant les risques de défaillance en cascade. Il convient de rappeler à ce propos que la récente loi PACTE est venue mettre un terme à l’obligation de nommer un commissaire aux comptes dans les petites sociétés, qui constituent encore aujourd’hui l’essentiel, en nombre, des entreprises françaises.

LCJ : Quelles conséquences du Covid-19 sur l’activité d’un commissaire aux comptes ?

S.A. : À l’évidence, les conséquences du confinement, l’arrêt presque total de l’activité de nombre d’entreprises va peser lourdement sur leur pérennité. Le risque de défaillance va s’accroître de façon importante puisque le risque sanitaire va probablement s’accompagner d’une crise de confiance ainsi que d’une crise de liquidité à court et moyen terme.

Dans cette situation, le rôle de prévention du commissaire aux comptes pour les moyennes et grandes entreprises parait essentiel et déterminant. Il incombe au commissaire aux comptes d’attirer l’attention du dirigeant sur le risque de défaillance de l’entreprise, notamment lorsque l’entreprise court le risque de cesser ses paiements. Le commissaire aux comptes doit demander les mesures mises en place par le dirigeant, un plan d’actions avec un plan de trésorerie pour juger de l’effet de ces mesures sur les risques de défaillance.

Chacun aura compris que dans cette période troublée, plus que jamais la prévision demeure un art difficile. Comment en effet faire un plan de trésorerie lorsque tout le monde ignore la date de sortie de crise ? La situation est tellement exceptionnelle que différentes mesures gouvernementales sont venues modifier l’appréciation de la date de cessation de paiement en interdisant aux tiers de la caractériser en se fondant sur l’évolution de la situation financière du débiteur après le 12 mars 2020.

Le Haut Conseil du Commissariat aux Comptes lui-même, dans un communiqué de presse, est intervenu afin d’apporter des précisions au sujet de la procédure d’alerte du commissaire aux comptes aux circonstances en rappelant que cette procédure « qui a pour but de prévenir les difficultés des entreprises et d’assurer la sécurité des différents acteurs économiques qui leur sont liés, fait partie intégrante de la mission d’intérêt général du commissaire aux comptes. Elle permet d’aider le chef d’entreprise à mieux appréhender, d’une part, la situation de trésorerie dans laquelle il se trouve ou risque de se trouver, et d’autre part, les moyens pour y parer au mieux, sans cependant que le commissaire aux comptes s’immisce dans la gestion de l’entreprise concernée. Compte tenu des circonstances actuelles, le H3C incite les commissaires aux comptes appelés à mettre en œuvre cette procédure à privilégier une phase initiale de dialogue avec le chef d’entreprise dite « phase zéro », qu’il documentera dans son dossier » (Communiqué de presse H3C).

LCJ : Les mesures prises par le gouvernement sont-elles adaptées ?

S.A. : Les mesures prises par le gouvernement ont été rapides, massives et importantes. A l’épreuve du terrain et des divergences d’interprétation, d’importantes difficultés n’en sont pas moins apparues dans leur mise en œuvre. Il faut reconnaître que le défi est d’une ampleur rarement égalée.

Pour tenter d’être plus précis, les mesures « d’entrée de crise » apparaissent, dans leur conception, à la hauteur de l’événement. Je parle bien sûr ici des mesures économiques et financières. Mais il faut cependant dès à présent imaginer, inventer ou préparer les mesures de sortie de crise car, encore une fois, le risque de défaillances multiples des petites et moyennes entreprises n’est pas négligeable, surtout dans un pays où le crédit interentreprises représente plus de 600 milliards d’euros et 30 % du montant du financement des entreprises contre 14 % en Allemagne [1] .

Il est assez simple d’imaginer les risques de défaillance en cascade. Sur ce point et comme évoqué plus haut, une ordonnance du 27 mars 2020 est venue modifier la date de cessation des paiements en décidant que, pendant toute la période correspondant à l’état d’urgence, majorée de trois mois, l’appréciation de la situation des entreprises s’effectuera à la date du 12 mars 2020 pour déterminer l’éventuel état de cessation des paiements. En d’autres termes, on ne tiendra pas rigueur à l’entreprise si sa situation s’est détériorée pendant la période de confinement. Dès lors, ne se trouvant pas, en théorie, en état de cessation des paiements, l’entreprise pourra bénéficier des mesures préventives (conciliation et sauvegarde) .

LCJ : Avez-vous des propositions à formuler ?

S.A. : Un article récent des Echos [2] s’intitulait : « pas d’envolée des dépôts de bilan pour le moment ».

Pour le moment… est une précision prudente, dont on risque d’apprécier bientôt le caractère prémonitoire…

Nous entamons la quatrième semaine de crise et il semble évident que le pire est devant nous, en tous les cas au plan économique. Le soutien assez massif du gouvernement, le report de certaines charges sociales, la mise en place des PGE (Prêt Garanti par l’État) parvient pour l’instant à maintenir « la tête des entreprises » hors de l’eau. Qu’en sera-t-il au 15 juillet et au 15 octobre, ces dates fatidiques correspondant le plus souvent pour les petites entreprises au paiement de charges trimestrielles, sociales, fiscales ainsi que certaines autres charges au rang desquelles par exemple le loyer.

Il est possible pour ne pas dire vraisemblable que le nombre d’entreprises ne pouvant plus faire face à leur passif exigible avec leur actif disponible va augmenter de façon exponentielle.
Certes, grâce à la cristallisation de la cessation des paiements que nous venons d’évoquer, ces entreprises pourront bénéficier des mesures préventives que constituent la conciliation et la procédure de sauvegarde. Mais les tribunaux vont-ils pouvoir faire face à l’afflux de demandes que l’on peut redouter ? Même dans les périodes normales, les délais de mise en œuvre de telles procédures sont parfois longues et complexes. Or, quitte à me répéter, le risque de faillites en cascade par l’effet du poison quasi-mortel des délais de règlement interentreprises, sera à cette date décuplé. A cet égard, on constate déjà un certain allongement du délai de règlement des créances clients, notamment certaines grandes entreprises du BTP, spécialistes du genre.

Cette situation exceptionnelle me paraît appeler la mise en place de mesures exceptionnelles, rapides ef efficaces, et reposant sur un plus grand nombre d’intervenants. Quitte à être taxé de corporatiste, je ne vois aucune profession mieux placée que les experts-comptables pour aider les entreprises à traverser cette période particulière à tous niveaux. Ils sont au cœur des entreprises, dont ils accompagnent le développement au quotidien, et sont les mieux placés pour mettre en place des plans de sauvegarde de chacune des entreprises qu’ils conseillent et dont ils connaissent la viabilité.

Sur la base des prévisions de trésorerie qu’ils seraient amenés à établir, ils pourraient proposer des plans d’apurement du passif sur une période de 36 à 60 mois, qui s’imposeraient à l’ensemble des créanciers, après l’approbation du Président du Tribunal de Commerce du ressort de l’entreprise, qui disposerait d’un délai court pour se prononcer. Il suffirait pour cela de modifier par ordonnance et pour une période limitée éventuellement reconductible, les textes qui régissent les lois sur la prévention des difficultés des entreprises.

Il ne s’agit pas ici bien sûr de vouloir sauver des entreprises irrémédiablement perdues. Celles-ci continueraient à passer par la procédure classique de liquidation judiciaire. À l’inverse, les entreprises saines et viables, plongées dans la difficulté en lien direct avec la crise sanitaire, méritent d’être sauvegardées de façon rapide, efficace et sécurisée.

Combattre le mal endémique des faillites en cascade liées à l’allongement du délai de règlement clients, aggravé par la crise sanitaire exceptionnelle, en confiant aux hommes du chiffres le soin de devenir, y compris pour une période déterminée, les urgentistes de l’entreprise. Voilà une réponse qui me paraît simple et efficace à mettre en œuvre pour faire face à la crise qui se profile clairement dans un futur proche.

 

[1] Article paru dans la tribune en date du 08/04/2020 sous la plume de quatre présidents des conseils régionaux de l’ordre des experts-comptables de Paris, PACA, Lyon et Lille.

[2] Journal Les Échos – 8 avril 2020 – numéro 23 176.

 

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