Par Samy Benzina, Professeur de droit public à l’université de Poitiers

Certains requérants contestent les dates retenues pour les élections législatives, que leur reprochent-ils ?

L’ADELICO reproche au décret de ne pas avoir respecté les délais prévus par le Code électoral dans la fixation des dates organisant le scrutin notamment sur le dépôt des candidatures. Une telle argumentation sera aisément écartée compte tenu notamment de la jurisprudence constitutionnelle qui, comme cela a déjà été rappelé par une autre contribution, prévoit que l’article 12 de la Constitution prévaut sur la loi organique, ce sont donc des délais dérogatoires qui s’appliquent. D’ailleurs, les lacunes du Code électoral en la matière sont bien connues. En 1988, les membres du Conseil avaient hésité à formuler des observations au président de la République pour lui signaler, à l’exception de l’article LO122, le silence du Code électoral concernant les délais prévus à la suite d’une dissolution, avant d’y renoncer pour des raisons d’opportunité.    

Est également invoquée, par l’ADELICO et Maître Taoumi, la violation du délai constitutionnel minimal prévu pour organiser de telles élections. En effet, le second alinéa de l’article 12 de la Constitution dispose que « Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution ». Or, les requérants font remarquer qu’en ce qui concerne l’outre-mer, ce délai de vingt jours ne pourrait être respecté dans la mesure où les électeurs sont convoqués le 29 juin 2024.

Le moyen excipé de la violation du délai minimal de vingt jours est plus incertain. Pour la computation du délai et en l’absence de précision de la Constitution en la matière, il faut déterminer quelle est la date d’entrée en vigueur du décret de dissolution. Le décret de dissolution lui-même est muet sur ce point. Il faut rappeler à cet égard que le décret de convocation des électeurs prévoit dans son article 15 qu’il entrera immédiatement en vigueur à la date de sa publication, c’est-à-dire le 10 juin 2024. Or, il est juridiquement impossible que le décret de convocation des électeurs entre en vigueur antérieurement au décret de dissolution. Il ne peut en effet y avoir de convocation sans dissolution préalable. En conséquence, le décret de dissolution ne peut entrer en vigueur au plus tard que concomitamment au décret de convocation, soit le 10 juin.

Toutefois, il n’est pas impossible que le Conseil constitutionnel retienne une autre date pour le décret de dissolution : non celle de la publication, mais de la signature, c’est-à-dire le 9 juin 2024. En effet, la seule fois où le Conseil s’est référé dans une de ses décisions à un calcul de délai impliquant le décret de dissolution, il a pris comme point de départ la signature (2013-681 DC du 5 décembre 2013, §31) sans référence à la publication. Or ce point est crucial : en prenant comme date de départ le 9 juin, la fixation de la date du premier tour au 29 juin pour l’outre-mer n’est pas inconstitutionnelle, mais celle du 10 juin ne permet pas de respecter le délai de vingt jours.

En outre, un doute demeure : le Conseil constitutionnel pourrait interpréter l’article 12 comme imposant un délai franc, c’est-à-dire vingt jours complets qui excluent le jour de la publication et le jour de la date du premier tour. Dans une telle hypothèse, le décret de convocation, tout du moins les dispositions qui fixent cette date, violerait nécessairement l’article 12 de la Constitution, quelle que soit la date de départ retenue, car seulement 18 ou 19 jours sépareraient la dissolution du premier tour de scrutin en outre-mer.

Le moyen excipé du « gel des listes électorales » invoqué par la France insoumise vous parait-il sérieux ?

Les députés de la France insoumise, par le biais de Manuel Bompard, contestent l’article 4 du décret de convocation qui prévoit que « L’élection aura lieu à partir des listes électorales et des listes électorales consulaires (…) telles qu’arrêtées à la date du présent décret ». Une telle cristallisation des listes électorales à la date du décret de convocation conduirait, selon les requérants, à fermer « la possibilité de nouvelles inscriptions sur les listes électorales pour voter les 30 juin et 7 juillet prochains » alors que « notre pays compte 11 millions de gens non et mal-inscrits sur les listes électorales ».

L’article L 17 du Code électoral prévoit que « Les demandes d’inscription sur les listes électorales, en vue de participer à un scrutin, sont déposées au plus tard le sixième vendredi précédant ce scrutin ». De toute évidence, le délai prévu pour des élections législatives suivant une dissolution n’est pas compatible avec la date prévue par le Code électoral. Il revenait donc au chef de l’État de fixer une date limite d’inscription sur les listes qui soit compatible avec les contraintes inhérentes à l’organisation d’un scrutin. Or, prévoir une possibilité générale d’inscription sur les listes électorales à moins de trois semaines du premier tour était sans doute peu envisageable d’un point de vue organisationnel. D’autant que ces mêmes listes ont été mises à jour à l’occasion des élections européennes et ne sont donc pas encore obsolètes. En outre, elles ne sont pas complètement cristallisées, les personnes se trouvant dans une situation particulière postérieurement à la date prévue par le décret (personnes atteignant la majorité, certains déménagements, acquisition de la nationalité française, fin de suspension du droit de vote), pourront être inscrites sur les listes électorales jusqu’au 20 juin 2024. Il va donc être difficile de convaincre le Conseil constitutionnel d’annuler un tel article.

Le choix d’organiser des élections législatives dans de telles conditions vous parait-il conforme au principe de sincérité du scrutin ?

Un tel grief, soulevé par l’ADELICO, n’est pas sans intérêt. Il faut rappeler en ce sens les déclarations du rapporteur Georges Vedel, à l’occasion de la délibération sur la décision Delmas du 11 juin 1981, à propos de la primauté des délais prévus par l’article 12 sur les délais légaux : « Il convient simplement, quand on admet cette interprétation, de prendre toute précaution pour que l’interprétation ainsi donnée des délais possibles ne permette pas, par une manœuvre précipitée, de porter atteinte à la liberté ou à la sincérité du scrutin ce qui serait le cas si les électeurs n’avaient le temps d’être mis au courant des intentions et des programmes des différents partis en présence ». Ces propos de l’éminent doyen conduisent naturellement à s’interroger sur la constitutionnalité, au regard du principe de sincérité, de la précipitation avec laquelle le chef de l’État a organisé ces élections. En effet, en 1981 et 1988, la dissolution était annoncée à l’avance dans l’hypothèse où François Mitterrand gagnerait l’élection présidentielle. En 1997, à la suite de la dissolution, le premier tour a été prévu le dernier dimanche possible au regard des délais de l’article 12, soit 35 jours plus tard. Le Conseil constitutionnel aura donc la tâche de déterminer si les délais choisis par le chef de l’État ne sont pas incompatibles avec le principe de sincérité. D’aucuns pourraient soutenir que retenir un autre délai conduirait à un premier ou un second tour le 14 juillet, date qui serait inopportune compte tenu de sa signification et des évènements qui y sont prévus.

Le Conseil constitutionnel ne dispose pas de bonne solution. Il pourrait, par réalisme, se résigner à accepter une telle argumentation : annuler le décret de convocation n’aurait pas pour effet de permettre de déroger aux dispositions de l’article 12 de la Constitution, le chef de l’État serait toujours dans l’obligation de choisir une date de premier tour se conformant au délai maximum de quarante jours. Cela conduirait inévitablement à organiser le scrutin durant la fête nationale entrainant des conséquences indésirables. Mais rejeter le grief le conduirait à conforter la thèse selon laquelle le chef de l’État peut décider d’une dissolution sans se préoccuper des conditions effectives d’organisation de la votation. Le juge constitutionnel pourrait donc choisir de retenir une solution plus ambitieuse en estimant que le délai prévu ne permet pas de garantir la sincérité du scrutin et que ce principe doit primer sur des considérations liées à la fête nationale, renvoyant ainsi la responsabilité de ce télescopage au président de la République. Car il faut le rappeler, rien n’imposait au chef de l’État de dissoudre l’Assemblée à la date où il l’a fait. Il aurait parfaitement pu annoncer une dissolution future, par exemple à la rentrée, afin de laisser le temps aux partis politiques et aux candidats de s’organiser, ce qui aurait été plus conforme au principe de sincérité du scrutin mais peut-être moins à ses intérêts politiques.