Par Bruno Daugeron, Professeur de droit public à l’université Paris Cité, Directeur du Centre Maurice Hauriou (URP 1515). Dernier ouvrage paru : Droit constitutionnel, Puf, « Thémis », 2023, 537 p.  

Dans quel contexte institutionnel réapparaît le débat sur le mode de scrutin aux élections législatives ?

Les déclarations convergentes, sans être identiques, de Mme Braun-Pivet et de M. Bayrou en faveur du scrutin proportionnel constituent l’énième épisode du feuilleton de la promesse de l’introduction d’une « dose de proportionnelle » pour les élections législatives, selon l’expression consacrée depuis maintenant près de quarante ans. Il intervient largement après la relance du débat en 2018, à une période complexe pour l’actuelle majorité parlementaire, qui ne l’est d’ailleurs que relativement, et qui sent bien qu’à l’issue des prochaines élections législatives de 2027, elle pourrait se retrouver plus nettement minoritaire. Or, il est constant que le scrutin proportionnel, s’il ne permet pas de provoquer une victoire comme peut le faire le scrutin majoritaire ayant tendance à reproduire localement une tendance nationale, peut contribuer à tempérer les effets d’une défaite. C’était d’ailleurs l’accusation portée par la droite contre le président François Mitterrand lorsque celui-ci avait fait voter par le Parlement la loi du 10 juillet 1985 remplaçant le mode de scrutin majoritaire uninominal à deux tours par la représentation proportionnelle de liste départementale pour les élections législatives de 1986, lesquelles débouchèrent sur la première cohabitation mais n’accordèrent qu’une faible majorité à la coalition RPR-UDF. Pour autant, ici, seul F. Bayrou semble prôner l’adoption du scrutin proportionnel pour l’ensemble des sièges, Mme Braun-Pivet plaidant plus timidement pour l’élection d’une partie d’entre eux comme la proposition a été régulièrement faite en vain depuis des années.

Les modalités de proportionnelle proposées par Yaël Braun Pivet sont-elles originales et seraient-elles susceptibles de rencontrer des obstacles juridiques, en particulier constitutionnels ?

L’originalité, en effet, se situerait plutôt de ce côté-là. Les modalités du scrutin proportionnel sont multiples aussi bien dans son cadre que dans sa méthode. Pour les élections législatives, la « RP », comme on la nomme depuis la fin du XIXe siècle à l’époque où elle était déjà l’objet d’intenses controverses, peut être pour les élections législatives, totale ou partielle, dans un cadre large (nation ou région) ou plus étroit (département), avec un seuil en pourcentage de voix permettant d’accéder à la répartition des sièges eux-mêmes distribués en fonction d’un calcul des restes des suffrages non comptabilisés selon la règle du plus fort reste ou de la plus forte moyenne. Même quand elle n’est que partiellement mise en œuvre, comme c’est le cas pour la proposition faite par la présidente de l’Assemblée nationale qui ne semble toutefois pas faire l’unanimité même au sein de la coalition soutenant le président de la République, elle peut encore se dérouler selon des modalités fort diverses : plusieurs solutions existent pour mettre en pratique cette « dose » de proportionnelle conduisant à faire élire une partie des députés à la RP. Dans une précédente proposition gouvernementale, celle de 2018 qui prenait place dans le cadre d’une plus vaste réforme constitutionnelle qui ne vit finalement jamais le jour, il était prévu de faire élire 15% des 577 députés (soit 61) au scrutin proportionnel de liste à l’échelle nationale ; cette fois ci, il s’agirait de faire élire à la proportionnelle les députés des départements en élisant onze ou plus ce qui correspondrait à 152 députés de seulement 11 départements (Nord, Paris, Bouches-du-Rhône, Rhône, Gironde, Seine-Saint-Denis, Hauts-de-Seine, Loire-Atlantique, Haute-Garonne, Yvelines, Pas-de-Calais). C’est la première fois qu’est proposée une telle combinaison pour les élections législatives qui, comme toute loi électorale, pourrait être adoptée par une simple loi.

Pour autant, ce mode de scrutin n’est autre que celui pratiqué pour les élections sénatoriales : dans les départements élisant au moins trois sénateurs, ces derniers sont élus à la représentation proportionnelle au scrutin de liste à un tour suivant la règle de la plus forte moyenne tandis que le scrutin majoritaire plurinominal s’applique aux autres. Même transposée à l’élection des députés restant, par hypothèse, élus au scrutin uninominal, son avantage serait de ne nécessiter aucun redécoupage des circonscriptions à l’intérieur des départements élisant moins de onze députés. Le mode de scrutin sénatorial prouve d’ailleurs que cette proposition n’encourt aucune critique sur le plan constitutionnel car il n’impacte en rien la fonction de parlementaire qui est une fonction de représentation d’abord et avant tout constitutionnelle définie par l’article 3 de la Constitution. Elu au scrutin proportionnel ou majoritaire, le député demeure un représentant du peuple chargé de l’expression légale de sa volonté. Le mode d’élection est donc sans influence sur la fonction de représentation.

Quel peut être l’effet de l’adoption d’un tel mode de scrutin ?

Il est difficile à déterminer précisément. Sur le plan institutionnel, présentée comme devant conduire à une représentation parlementaire fidèle de la diversité politique des Français. En réalité, cette réforme bien tardive serait désormais de peu d’effets. Le scrutin majoritaire uninominal à deux tours n’est plus, aujourd’hui, un obstacle à cette représentativité que la Présidente de l’Assemblée nationale appelle de ses vœux. Car, sur le plan politique, Rassemblement national (ex-Front National longtemps tenu à l’écart de toute présence significative à l’Assemblée, parvient désormais à faire élire des députés en grand nombre avec ce mode de scrutin, même s’ils sont moins nombreux que son poids électoral le laisse penser. Il en est de même pour les autres formations politiques significatives. Si seulement cent cinquante députés devaient être élus à la proportionnelle dans les départements les plus peuplés, ce ne serait pas suffisant pour que les équilibres électoraux soient bouleversés. Ils ne le seront en tous cas pas en faveur du RN dont une bonne partie de la présence parlementaire vient désormais des zones rurales et péri-urbaines de départements démographiquement moins denses. Certes, ce résultat est lié à la conjoncture institutionnelle et ne se reproduira pas toujours à l’identique. Mais il serait fâcheux que la question fondamentale de la représentativité soit à nouveau instrumentalisée pour des questions de stratégie partisane dans le seul but de contrarier une percée électorale supposée.