Par Didier Truchet, Professeur émérite de l’Université Paris Panthéon Assas

Quelle est la portée de la déclaration de Mme Pécresse ?

Il semble que la subvention en cause est celle que la région s’est engagée envers l’État, en vertu du nouveau contrat de plan Etat-région IDF, à verser à l’Institut (en tant qu’il est membre de l’Alliance Sorbonne Paris Cité) pour le financement d’une opération immobilière. Son montant (un million d’euros) est très modique au regard des ressources de l’ensemble que forme Sciences Po (IEP et Fondation nationale des sciences politiques). Le versement n’est que « suspendu » : autrement dit, il interviendra plus tard. Retirer la subvention aurait été légalement difficile au regard, d’une part, du caractère contractuel des clauses d’un contrat Etat-région et, d’autre part, de l’article L 242-2, CRPA. La déclaration de Mme Pécresse n’a donc pas de portée pratique. A noter que la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a déclaré que l’État versera sa part.

Mais elle a une évidente portée politique : Madame Pécresse veut dénoncer la manifestation des étudiants et l’attitude de la direction de Sciences Po et tient (avec succès !) à ce que cela se sache. Elle prétend même placer l’Institut sous sa surveillance en se faisant juge du retour de « la sérénité et de la sécurité » dans l’établissement, ce qui ne relève pas de la compétence d’une présidente de région.

Cette déclaration est-elle contraire à la liberté académique ?

L’université n’est pas en dehors du débat public. Il est normal que des personnalités politiques s’expriment sur ce qui s’y passe. Elles l’ont toujours fait à droite et à gauche (des députés LFI, en écharpe, sont présents lors des manifestation étudiantes propalestiniennes). Il revient aux universitaires de les écouter avec respect et de n’en faire ensuite qu’à leur tête (dans le respect de la loi évidemment). Mais il y a la manière de le faire : la déclaration de Mme Pécresse s’inscrit dans une tendance très inquiétante. Il était déjà anormal que Gabriel Attal et Sylvie Retailleau s’invitent sans droit ni titre au conseil d’administration de la Fondation nationale des sciences politiques (mais non à celui de l’Institut) ; il l’est encore que la région Ile de France subordonne le versement d’une subvention au climat qui règne dans un établissement universitaire, alors que ce climat n’est pas une condition légale d’attribution de la subvention.

Les évènements de Gaza sont graves, suscitent le trouble dans l’opinion publique et chez les étudiants (pas seulement à Sciences Po et pas seulement en France) et aggravent les risques d’antisémitisme. Les universités doivent prendre au sérieux, mais pas au tragique, les attentes de leurs étudiants tout en évitant les débordements, alors qu’elles n’ont pas les moyens matériels de maintenir l’ordre public dans leurs locaux. La tâche est suffisamment difficile pour que les autorités politiques et administratives ne la compliquent pas par des interventions intempestives, des menaces budgétaires ou des injonctions, contraires à la liberté académique, sur l’orientation et l’activité de recherche et d’enseignement ou les coopérations internationales.

Plus largement, je m’inquiète depuis longtemps de la montée de l’intolérance dans le monde de la recherche et de l’enseignement : l’anathème, la menace, l’insulte remplacent trop souvent la libre et respectueuse disputatio ! Les victimes israéliennes et palestiniennes suscitées par les opérations terroristes du Hamas méritent dans l’enseignement supérieur français un débat exempt de violences verbales ou physiques. Les personnalités politiques, même en période électorale, devraient agir pour que ce vœu ne reste pas entièrement pieux, plutôt que souffler sur le feu.

Quelle est la « dimension Sciences Po» de cette affaire ?

La place de Sciences Po dans la formation des élites, ses réseaux et sa communication parfois un peu arrogante donnent un retentissement particulier à ce qui s’y passe. Il y a un « paradoxe Sciences Po ». Riche de son financement bifide (une fondation et un grand établissement au sens du Code de l’éducation), Sciences Po développe un enseignement et une recherche de très grande qualité, multiplie les innovations, a acquis une forte réputation internationale. Inversement, sa direction me semble avoir perdu son cap, sans doute tétanisée par le souvenir des traits de génie et des excès de la « période Descoings ». Ses directeurs démissionnent les uns après les autres, parfois sur fond de scandale. A l’heure actuelle, l’Institut est dirigé par un administrateur provisoire. Sur ce point au moins, Valérie Pécresse a raison : il est temps que la sérénité y revienne, notamment face aux manifestations déplaisantes d’une minorité d’étudiants. J’ose un souhait qui ne plaira pas à tout le monde : il faudrait désormais confier la direction de l’établissement à un(e) véritable professionnel(le) de l’enseignement supérieur et de la recherche, donc à un ou une universitaire. A quelqu’un qui sache écouter et rappeler à la raison les personnalités politiques, ses collègues et les étudiants au nom des valeurs du service public, pour éviter aux uns et aux autres de perdre la tête.