Par Laurence Mauger-Vielpeau, Professeur de droit privé, co-directrice du Master Notariat, directrice du DSN et avocat

Comment est née la collection Renault ?

La collection d’art de Renault, créée à partir de 1967, fut l’une des premières collections d’art d’entreprise. Elle relève de ce que certains appellent le « mécénat industriel ». En effet, après la nationalisation de l’entreprise à la fin de la seconde guerre mondiale, la Régie Nationale des Usines Renault (RNUR), entreprise publique, concentre ses activités sur l’automobile. C’est dans ce domaine que va germer l’idée d’associer l’art au monde ouvrier. Claude Renard, cadre supérieur de la firme, amateur d’art et ami d’André Malraux, devient le chef d’orchestre de cette collection, cherchant à rapprocher le monde de l’industrie et la création contemporaine. C’est ainsi que la Régie acquiert une frise de Julio Le Parc, exposée dans la cafétéria de l’ancien site de Boulogne-Billancourt et des œuvres de Jean Dewasne, Jesus-Rafael Soto, Jean Dubuffet ou Victor Vasarely (créateur du fameux losange de la marque), accrochées dans le hall d’accueil, les salles de réunion… A la suite du premier choc pétrolier et de la montée du chômage, l’heure n’est plus à l’achat. La Régie va se défaire d’une partie importante de la collection au bénéfice d’une Association IAC (incitation à la création), qui signera des clauses de non-revente et de non-commercialisation, pour reprendre les engagements de la Régie vis-à-vis des artistes. Les 350 pièces restantes (plus 200 pour le fonds photographique) sont stockées dans des entrepôts. Figurent parmi celles-ci les œuvres qui seront vendues par Christie’s.

Pourquoi les ventes ont-elles produit une telle onde de choc ?

Rapidement après l’annonce des ventes, la fille de Claude Renard, Delphine, s’est insurgée contre le démantèlement de la collection. Elle considère que celle-ci constitue un tout d’intérêt national qui doit le rester. Elle estime que la vente dénature la politique de mécénat industriel menée par son père car les artistes n’auraient jamais imaginé que leurs œuvres se retrouveraient sur le marché. Elle ajoute que le public et le personnel de Renault seront privés de ce patrimoine exceptionnel. Elle mène un « combat éthique et moral ». Elle est suivie en cela par certains artistes concernés ou leurs ayants-droits, qui ont publié une tribune dans le journal Le Monde, et le milieu culturel, arguant du caractère inaliénable de la collection. Pour eux, l’esprit du mécénat était de constituer une collection indissociable qui ne devait en aucun cas être revendue et qui, en outre, avait une valeur sociale et politique.

A l’inverse, Renault entend poursuivre ces ventes pour faire revivre sa collection, longtemps laissée de côté, et lui donner un nouvel essor. L’entreprise veut créer un fonds de dotation qui sera alimenté par le produit des ventes afin d’acquérir de nouvelles œuvres issues plus particulièrement du street art. La firme a été conseillée pour faire le « tri » de sa collection, vendant une petite partie (à peine 10 %) pour sauvegarder le reste qui sera restauré et partagé.

Que penser de cette controverse ?

Toutes sortes de documents sont invoqués pour tenter de faire obstacle à la vente : note interne de Renault, argumentaire destiné au service de presse de l’entreprise, contrats signés par certains artistes… Gageons que les arguments sont de valeur. Quoi qu’il en soit, seuls les artistes concernés ou leurs ayants-droits ont qualité pour agir ; encore faut-il qu’ils disposent de moyens juridiques pour ce faire. Rien n’est moins sûr. Plus fondamentalement, c’est le mécénat d’entreprise qui ne sort pas grandit de cette affaire. Quels artistes tenteront désormais l’expérience, sachant qu’ils courent le risque de voir écouler leurs œuvres quelques années plus tard sur le marché pour en sauver ou en acquérir d’autres jugées plus intéressantes ? Certes, une collection peut être amenée à évoluer et Renault Group n’est plus la Régie Renault car elle a été privatisée entre temps. Il n’empêche, sa collection a été constituée en collaboration avec des artistes de l’époque, engagés et tournés vers le monde ouvrier réputé mieux traité ici qu’ailleurs. La mise en vente d’une partie de leurs œuvres trahit cet engagement. Le marché de l’art sera sans doute indifférent à ces considérations et on peut penser que les œuvres dites majeures de la vente de Jean Dubuffet, Sam Francis ou Robert Rauschenberg atteindront des prix non négligeables.