Par Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, professeur de droit public à l’Université de Brest.

Comment va se passer la répartition des responsabilités au sein de l’Assemblée ?

Si l’incertitude règne à ce stade sur l’issue des votes, leurs règles d’organisation sont extrêmement précises et dument détaillées dans les articles 8 à 12 du Règlement de l’Assemblée nationale (RAN).

Ainsi, selon l’article 9, la première séance de la législature se tiendra sous la présidence de son doyen d’âge, assisté, en qualité de secrétaires, des six plus jeunes députés présents. Aucun débat n’est autorisé car l’unique objet est d’élire, pour la durée de la législature, le (la) président(e) de l’Assemblée. Celui-ci est choisi à bulletins secrets au scrutin majoritaire à trois tours : aux deux premiers, la majorité absolue est nécessaire, au troisième la majorité relative suffit. Le Règlement prévoit même qu’en cas d’égalité de suffrages, c’est le plus âgé qui est élu. Cette précision qui existe depuis la IIIe République fut utile le 4 avril 1888. Alors qu’il s’agissait du troisième tour de scrutin pour élire le président de la Chambre, Georges Clemenceau et Jules Méline obtinrent chacun 168 suffrages. Comme le premier était né en septembre 1841 et le second en mai 1838, c’est lui qui fut proclamé élu.

Le lendemain, le 19 juillet viendra le reste du bureau, soit six vice-présidents, qui suppléeront le président, trois questeurs, qui géreront matériellement l’Assemblée, et douze secrétaires, supposés surveiller les scrutins. Les 22 membres doivent reproduire la diversité politique des bancs, et leur désignation fait normalement l’objet d’une répartition consensuelle entre les groupes, au prorata de leur importance. Le Règlement précise en effet que cette élection « a lieu en s’efforçant de reproduire au sein du Bureau la configuration politique de l’Assemblée » là où, sous la IVe République, il se bornait à être « représentatif » de l’ensemble des groupes.

A cette fin, l’alinéa 3 de l’article 10 dispose que « le Président (…) réunit les présidents de groupes en vue d’établir la répartition entre les groupes de l’ensemble des fonctions du Bureau et la liste de leurs candidats à ces fonctions ». Dans les faits, de 1959 à 2017, une convention non écrite a permis d’une part à la majorité parlementaire de s’assurer logiquement une supériorité numérique au sein du Bureau et d’autre part de préserver une représentation équilibrée des groupes. Mais au mois de juin 2017, cette tradition fut battue en brèche, privant le premier groupe de l’opposition du poste de questeur qui lui été implicitement réservé et déclenchant du même chef, une crise parlementaire du plus mauvais effet.

Aussi pour pallier cette carence règlementaire, une résolution du 11 octobre 2017 a inscrit dans le Règlement une clé de répartition permettant d’arrêter la représentation pluraliste équilibrée souhaitée. Elle est décrite dans les alinéas 5 à 16 de l’article 10 et repose sur un système de pondération des fonctions attribuées aux groupes, excluant de fait les députés non-inscrits. Concrètement, leurs présidents effectuent des choix en « fonction du nombre de points dont ils disposent », c’est-à-dire à partir de leurs effectifs, sachant que les postes seront différemment étalonnés : deux points pour un vice-président, deux points et demi pour une fonction de questeur et un point pour celle de secrétaire.

De plus, respectant formellement une habitude née sous la IIIe, poursuivie avec cependant quelques accros sous la IVe République et continument appliquée depuis 1973, l’alinéa 7 précise qu’un « poste de questeur [sur trois] est réservé à un député appartenant à un groupe s’étant déclaré d’opposition ». Enfin, depuis 2019, obligatoirement le « premier des vice-présidents dans l’ordre de la préséance est le député appartenant à un groupe s’étant déclaré d’opposition » (article 11 alinéa 2).

Ainsi les tractations doivent permettre d’aboutir à un accord global évitant un vote sur chaque responsabilité. En effet, si l’accord est trouvé, la liste est établie dans l’ordre décidé par les présidents, déterminant d’ailleurs ainsi la présentation protocolaire des titulaires des fonctions, puis elle est affichée et publiée au Journal Officiel. Les désignations deviennent effectives dès cet instant. Si des difficultés persistent interdisant l’établissement d’un consensus, alors il sera procédé dans l’hémicycle à un vote au scrutin plurinominal majoritaire. Le système a donc au moins la vertu d’être parfaitement rodé.

En quoi ces procédures peuvent-elles être différentes des précédentes législatures ?

La première différence tient au fait que la composition des instances parlementaires précèdera la composition du nouveau gouvernement. La logique voudrait, en conséquence, que les deux étapes soient liées et l’on peut aisément imaginer que les tractations qui accompagnent actuellement les discussions au sein des deux coalitions électorales que sont le « Nouveau Front Populaire » et « Ensemble pour la République » intègrent la répartition de ces responsabilités parlementaires.

On peut même gager qu’elles englobent l’attribution des présidences des huit commissions permanentes. Jusqu’à présent, seule la présidence de la commission des finances était réservée à « un député appartenant un groupe s’étant déclaré d’opposition » (article 39 al. 3 du RAN). Compte tenu du fait qu’aucun groupe ne dispose d’une quelconque majorité, il ne serait pas incongru que pour la première fois la répartition des responsabilités se fasse au prorata du poids des groupes. Cette pratique est habituelle en Allemagne ou en Italie sans que cela n’altère le fonctionnement de leurs assemblées. De surcroit, une telle initiative pourrait augurer de méthodes de travail novatrices et constructives.

La seconde différence découle du contexte dans lequel s’est déroulé le second tour de l’élection législative. La plupart des députés qui siègeront doivent leur élection aux voix de leurs adversaires. Ils sont les bénéficiaires du « barrage » qui fut le seul enjeu de ce tour décisif. Comment ce mandat doit-il se traduire dans l’hémicycle ? Faut-il en tirer comme conclusion de priver le RN de tout accès à des responsabilités parlementaires ? C’est la lecture des députés écologistes qui martèlent la nécessité d’un tel « cordon sanitaire ». A contrario, refuser de reconnaitre la légitimité du groupe le plus important de l’Assemblée nationale (126 députés) en lui interdisant d’exercer des responsabilités ne serait pas sans conséquence sur le climat des futurs échanges. Il n’est pas non plus exclu que cela incite le RN à utiliser rapidement sa capacité de censure.

Quels sont les enjeux parlementaires de ces premiers votes ?

C’est l’épreuve du feu pour tous les groupes, notamment pour ceux, comme le PS ou les écologistes qui prônent une république parlementaire. En 2022 déjà, alors que les électeurs votaient traditionnellement pour donner une majorité au Président, au lendemain de la réélection d’Emmanuel Macron, ils votèrent pour lui donner une opposition. Pour la première fois depuis 1958, le barycentre de l’activité politique regagnait l’Assemblée et les députés pouvaient reprendre la main. Las, aucune des formations d’opposition n’accepta de participer réellement au processus législatif c’est-à-dire ne se montra disponible pour d’éventuels compromis.

La nouvelle législature leur offre une nouvelle opportunité. Accepteront-ils de sortir de l’illusion dans laquelle ils se sont enfermés depuis dimanche et qui les conduit à réclamer le pouvoir sans disposer d’une majorité ? Oseront-ils chercher une coalition nouvelle leur permettant de peser dans les débats, d’influencer le contenu des textes tout en défendant leurs idées ? Les partis de l’ancienne majorité présidentielle dépasseront-ils les limites (rétrécies) de leur cartel électoral pour bâtir un attelage gouvernemental dont le mandat reposera sur des négociations ponctuelles ? Les députés LR se réfugieront-ils dans l’incantation stérile et l’irresponsabilité captieuse ?