Par Jean Pierre Camby , docteur en droit , PAST université de Versailles saint Quentin

Quelle juridiction est compétente pour traiter les contentieux électoraux relatifs à l’élection des députés ?

La réponse est en apparence simple : uniquement le Conseil constitutionnel, en application de l’article 59 de la Constitution, et uniquement en cas de contestation. Le juge électoral affirme une compétence exclusive : le juge judiciaire (voir de nombreuses décisions des 8, 15 juin ou 22 septembre 1993) ne peut, par principe, intervenir en référé au sujet de querelles de dénomination de listes, d’affichages, de bulletins. De manière résiduelle, il est parfois admis en cas de trouble manifestement illicite, de diffamation, qu’il soit intervenu au cours d’une campagne. Une voie spéciale de référé a été ouverte en cas de diffusion par les réseaux sociaux de « fake news » ( article L 163-2).

Après l’élection, seul le Conseil constitutionnel est donc compétent. Les textes d’application de l’article 59 (C. élec LO 180 et suivants et ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958, articles 33 et suivants ) prévoient que les recours lui sont présentés dans les dix jours suivant la proclamation des résultats. « Le délai imparti pour déposer une réclamation court donc (hors Polynésie française, Nouvelle Calédonie et Wallis et Futuna) à partir du mardi 2 juillet à zéro heure jusqu’au jeudi 12 juillet 2024 à 18 heures, dans les circonscriptions où le résultat aura été acquis au premier tour. Ce délai court à partir du mardi 9 juillet 2024 jusqu’au jeudi 19 juillet 2024 à 18 heures, dans les circonscriptions où se sera déroulé un second tour de scrutin » (circulaire du 11 juin 2024 NOR: IOMA2415691J 8.2  p. 35 ). L’intérêt pour agir est reconnu à tout électeur ou candidat de la circonscription, mais pas à un parti politique (13 juillet 1988, Conseil cons. n° 88-1040/1054 AN). La requête doit conclure à l’annulation de l’élection, éventuellement à l’inéligibilité ou à l’inversion des résultats (cas exceptionnel : 12 février 2015, n° 2014-4902 SEN). Le Conseil constitutionnel est incompétent pour statuer sur d’autres demandes, notamment l’attribution de quelques voix à des fins financières ou le prononcé de sanctions pénales, lesquelles, même si elles sont prévues par le code électoral, relèvent de la compétence du juge pénal sans lien avec les décisions rendues sur les élections.

Une autre source de saisine doit être citée. Le Conseil doit en effet être saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques de tout compte de campagne rejeté par celle-ci. L’obligation de dépôt s’applique à tout candidat ayant obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés ou qui a bénéficié de dons de personnes physiques, dons déductibles de l’impôt (C élec. art L 52-12 ). Le rôle de la commission est essentiel et elle l’exécute de manière très rigoureuse par une procédure contradictoire : les erreurs sont rarissimes. Le rejet du compte implique une privation du remboursement des dépenses du candidat et la saisine du juge, qui apprécie en outre s’il y a lieu de prononcer l’inéligibilité. Si celle-ci porte sur un élu, l’élection est donc annulée. La CEDH a validé ce double degré de procédure ( CEDH 21 octobre 1997 Pierre Bloch c/ France et 14 septembre 1999 Masson c/ France )  

Dans quelles conditions le Conseil Constitutionnel doit-il se prononcer ? (Délais, audience, parties) 

Les textes cités supra, et le règlement de procédure qui les applique, sauf les rejets sans instruction préalable (par exemple une saisine hors délai ou ne contenant que des allégations sans importance ou sans preuve) prévoient qu’un rapporteur adjoint est désigné (il s’agit d’un membre du Conseil d’Etat ou de la Cour des comptes nommé par le Conseil ) et va instruire le dossier. Lorsqu‘une affaire est en état d’être jugée, après une phase d’échanges contradictoires où des délais de réponse sont fixés, le rapporteur-adjoint le présente, sans voix délibérative, d’abord à une section de trois des membres du Conseil constitutionnel qui délibère, puis en séance plénière. Les parties peuvent être entendues à leur demande, mais ce n’est pas une obligation, ou d’office. L’article 17 du règlement de procédure a été modifié à cet effet en 1995, suite aux protestations de Jack Lang qui se plaignait d’une absence d’oralité du contradictoire, mais celle-ci ne constitue pas une garantie substantielle des droits de la défense. La pratique s’est établie que lorsqu’il y a un risque d’annulation une audition a lieu. Le Conseil n’est pas tenu par un délai de jugement, mais il s’efforce de juger dans l’année suivant la saisine pour ne pas faire peser de suspicion sur l’exercice du mandat.

Le Conseil a admis, praeter legem, la possibilité que lui soient directement présentées des QPC à l’occasion des requêtes (12 janvier 2012 n° 2011- 4538 SEN , Sénat, Loiret). Cette compétence est logique puisqu’il n’est pas possible s’agissant de requêtes directement portées devant lui, que la Cour de cassation ou le Conseil d’ Etat jouent le rôle habituel de juridiction de renvoi. La recevabilité de la QPC et, le cas échéant, le jugement de fond sont examinés à l’occasion de la requête.

Est-ce qu’un contentieux électoral suspend certaines décisions parlementaires ? En cas de majorité absolue très étroite, si de possibles annulations sont susceptibles d’inverser la composition de la majorité ou la création ou le maintien d’un groupe porte sur des élections, est-ce que cela peut suspendre la désignation du gouvernement ou d’autres décisions parlementaires  ?

Non, la vie parlementaire continue , comme l’exercice du mandat de l’élu, jusqu’à une annulation. La requête contre une élection de député n’a pas d’effet suspensif ou conservatoire. Cela vaut sans exception pour tous les actes de la vie parlementaire, à commencer par la composition des groupes et des commissions, la désignation du Président de l’Assemblée nationale , mais aussi les votes de lois ou de résolutions, les questions, ou les saisines du Conseil constitutionnel. Cela vaut aussi pour le dépôt et le vote d’une motion de censure ou pour celui d’une déclaration de politique générale, mais le gouvernement n’est pas tenu de demander un vote d’investiture engageant sa responsabilité. Si la majorité est acquise par défaut ou très étroite, il est probable qu’il ne le fera pas.

Quels sont les arguments généralement avancés pour remettre en cause une élection ?

Ils sont très nombreux. Il y a des griefs dont l’application est mécanique, et qui sont d’ordre public, par exemple la candidature d’une personne inéligible conduit à l’annulation de tous les suffrages qui se sont portés sur elle et s’il  s’agit de l’élu ou de son suppléant à l’annulation de l’élection (5 juillet  1973 Mirtin c/Duroure, 16 novembre 2017,  Muller Quoy n° 2017 – 4999 AN). Les griefs portent très souvent sur des abus de propagande ‘« fake news », imputations personnelles, non-respect de la période de réserve la veille et le jour du scrutin etc…) ou dénoncent des manœuvres. Compte tenu du contexte politique, il est probable qu’il y aura des contestations portant sur les investitures et les ralliements, et leurs suites – par exemple l’usage de logos. En matière d’élections législatives, les griefs portant sur les opérations électorales sont moins fréquents que pour les élections locales, mais la fraude est alors plus sévèrement sanctionnée (3 février 1999 Belviso / Deflesselles n° 98-2562 AN ). Les décisions du Conseil d’Etat sont parfois plus décevantes lorsqu’un défaut d’authentification est flagrant (Club des juristes , Fourmont 18 août 2021 ). Le contentieux électoral a ceci de particulier que c’est l’élection qui est jugée, et qui peut donc être annulée indépendamment du comportement de l’élu , si par exemple un présentateur de télévision appelle à voter pendant la période de réserve (28 juillet 1998 n° 98-2552 AN le Chevallier c/ Casanova – « Affaire Karl Zéro » ) ou si un candidat éliminé au premier tour a usurpé une identité (28 janvier 2022, n° 2021-5726 AN Paris 15 e circ.)  

Le Conseil constitutionnel a-t-il des scrupules à exercer son office dans un tel contentieux ?

Une mission constitutionnelle doit s’exercer sans scrupule. Si le Conseil donne l’apparence d’une faiblesse ou d’un manque d’impartialité, comme c’était jadis le cas avec la « vérification des pouvoirs » qui confiait le contentieux aux assemblées elles-mêmes, c’est sa crédibilité qui est en jeu. Rares et isolés sont les exemples en ce sens, où il tiendrait compte par exemple de l’incidence qu’aurait une annulation sur le maintien d’un groupe politique. Jusqu’ici, la détermination d’une majorité n’a jamais dépendu de l’issue de décisions électorales. D’une manière générale, le Conseil vise aussi à équilibrer ses décisions dans le temps pour qu’elles n’aient pas ce type d’impact. Et la théorie des apparences trouve ici un terrain d’application évident : il faut que les décisions soient rendues de manière compréhensible, motivée et impartiale, tant la matière est sensible. Plus encore quand le corps électoral est perplexe, comme c’est le cas aujourd’hui.  

On se permet de renvoyer pour de plus amples développements au Conseil constitutionnel, juge électoral, 8ème édition 2022, Dalloz.