Par Julian Clarenne, professeur invité en droit constitutionnel à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles

Pourquoi les gouvernements de coalition sont-ils la règle en Belgique ?

Outre le contexte historique et politique, deux motifs institutionnels justifient à titre principal la nécessité de former des coalitions gouvernementales en Belgique. Le premier motif a trait au système électoral. La Belgique a fait le choix d’un mode de scrutin proportionnel qui contribue au morcellement du paysage politique. Chaque liste ayant un nombre de sièges proportionnel au nombre de voix récoltées, cela favorise la fragmentation de la représentation parlementaire entre les différents partis. Il est donc en pratique improbable qu’un parti recueille à lui seul la majorité absolue. Le second motif a trait au régime politique. La Belgique est un régime parlementaire, consacrant un principe de responsabilité du gouvernement devant le Parlement duquel le premier tire sa légitimité démocratique. Cela signifie que le gouvernement doit en principe avoir la confiance d’une majorité au Parlement, à défaut de quoi il risque à tout moment d’être renversé par celui-ci. Plus encore, une coutume constitutionnelle impose que le gouvernement fraichement formé sollicite, par la voix du Premier ministre, la confiance du Parlement. En d’autres termes, l’entrée en fonction d’un gouvernement de plein exercice est conditionnée à l’obtention du soutien explicite d’une majorité parlementaire à l’issue de la déclaration de politique générale.

Cette double donnée conduit les partis à devoir former ensemble – parfois durant de nombreux mois, comme en témoignent les périodes respectives de 541 et 464 jours « sans gouvernement » en 2010-2011 et 2018-2019 – un gouvernement majoritaire.

Est-ce à dire qu’un gouvernement minoritaire est inconcevable en Belgique ? Bien que cette hypothèse soit exceptionnelle, il arrive que les partis d’une coalition gouvernementale ne représentent qu’une minorité au Parlement. Gouverner exige alors soit le soutien actif de partis externes à la coalition au moment du vote de confiance et des textes de loi, soit a minima leur abstention.

Comment se déroule la formation des gouvernements de coalition ?

En tant que chef de l’État, le Roi joue un rôle central dans la formation du gouvernement fédéral. À l’issue des élections législatives, il reçoit les différents présidents de parti et désigne les personnalités politiques en charge de préparer le terrain pour la formation d’un gouvernement reposant sur une majorité parlementaire, qui lui font régulièrement rapport. Bart de Wever, chef des nationalistes flamands sortis en tête des urnes le 9 juin 2024, a ainsi été successivement désigné informateur, préformateur et formateur par le Roi Philippe. Au fil de ces différentes missions, un accord s’est en l’espèce progressivement dégagé en vue de former une coalition de cinq partis, allant de la droite – surtout – à la gauche du spectre politique. Elle succédera au gouvernement dit « Vivaldi », en référence aux couleurs des quatre familles politiques composant celui-ci (libéraux, centristes, socialistes et écologistes).

Avant la nomination des ministres, qui est une prérogative constitutionnelle du monarque, le formateur – généralement le futur Premier ministre – est chargé de mener les négociations sur le programme de gouvernement et sur la composition de l’équipe gouvernementale. Chaque parti a toutefois la main sur l’identité des ministres qu’il souhaite envoyer. Le Premier ministre lui-même n’est pas nécessairement un président de parti, ni même une figure du parti le plus représenté au Parlement. Sans veto des autres partenaires, les ministres seront nommés et entreront en fonction sans devoir obtenir individuellement la confiance du Parlement.

Au niveau fédéré, il n’existe pas de figure neutre – à l’instar du Roi – chargée de coordonner la période de formation du gouvernement. C’est, dès lors, au président du parti le plus fort qu’il revient en principe de diriger les négociations avec les partenaires potentiels. Une fois un accord trouvé, les ministres choisis par les partis de la coalition sont présentés au Parlement et élus par celui-ci, qui donne ensuite sa confiance au gouvernement dans son ensemble.

Quelle stabilité offrent ces gouvernements de coalition ?  

Une fois en place, le gouvernement est chargé d’accomplir sa feuille de route jusqu’à la fin de la législature. La solidarité entre les partenaires de la majorité apparait comme une condition du bon fonctionnement du système. Couplée à une stricte discipline de parti, elle doit permettre de garantir une unité de vues entre l’équipe gouvernementale et la majorité parlementaire, indispensable à la réalisation de l’accord de gouvernement.

En cas de désunion entre les partenaires de la coalition, une démission du gouvernement – ou de l’une de ses composantes – est toujours possible, qu’elle soit volontaire ou contrainte par une motion de méfiance du Parlement. Deux hypothèses sont alors à distinguer en cas de crise politique : d’un côté, la reprise des négociations entre partis politiques et la recherche d’une nouvelle coalition majoritaire ; de l’autre, la dissolution du Parlement et le retour aux urnes. Cette seconde hypothèse n’est toutefois possible qu’au niveau fédéral, la Constitution excluant toute dissolution des Parlements fédérés.

Dans l’attente d’une sortie de crise, le gouvernement démissionnaire est tenu d’expédier les affaires courantes. Au nom de la nécessaire continuité de l’État, il doit donc gérer les affaires urgentes, banales ou en cours. De leur côté, les parlementaires disposent quant eux d’une plus grande liberté d’action en période d’affaires courantes, dès lors qu’il n’existe plus de pacte de majorité à respecter. Telle est probablement d’ailleurs la principale leçon de l’exemple belge : le succès d’un gouvernement de coalition implique une ferme loyauté entre les parties prenantes, quitte à emporter une rigidité accrue des rapports entre majorité et opposition.