Par Damien Connil, Chargé de recherche CNRS, Université de Pau (UMR DICE-IE2IA)

Dans quelle mesure la constitution des groupes est-elle importante pour la nouvelle assemblée ?

La constitution des groupes est une première étape politique et institutionnelle de l’installation d’une nouvelle assemblée. C’est à ce moment-là que les parlementaires, élus sous différentes étiquettes, se rassemblent au sein de formations qui jouent un rôle déterminant dans l’organisation et le fonctionnement du Parlement. À l’Assemblée nationale, un minimum de 15 députés est nécessaire pour former un groupe. Ses membres signent une déclaration politique commune et désignent leur président.

Les groupes occupent, dans la vie parlementaire, une place centrale : participation aux organes de l’Assemblée, attribution des places dans l’hémicycle, répartition des parlementaires au sein des commissions, détermination de l’ordre du jour par la Conférence des Présidents, répartition des temps de parole, information des députés, etc. Les groupes, qui disposent de ressources financières et humaines, apparaissent comme des interlocuteurs majeurs aussi bien pour l’Assemblée que pour les parlementaires. Mais les groupes sont aussi des formations politiques et, dans la configuration qui est celle qui résulte des élections législatives du 30 juin et du 7 juillet, leur constitution est également le moment où chacun « se compte ». Parce que constituer un groupe à l’Assemblée est aussi l’affirmation parlementaire d’une ligne, d’une orientation, voire d’une nuance politique.

Quelles sont les conditions dans lesquelles se déroule la constitution des groupes de la XVIIe législature ?

La formation des groupes y est d’autant plus délicate que la composition politique de l’Assemblée est inédite. Le Président de la République avait indiqué « attendre la structuration de la nouvelle Assemblée nationale pour prendre les mesures nécessaires ». La question est celle des équilibres et des rapports de force politiques dont la constitution des groupes parlementaires rend compte. La XVe législature avait mis en évidence la multiplication des groupes politiques. La XVIe posait la question du fonctionnement de l’Assemblée dans un contexte de majorité relative. L’installation de la XVIIe, du fait de sa configuration, ajoute une donnée supplémentaire dans l’équation.

Au sein de l’Assemblée, d’abord, la tripartition de la Chambre conduit à ce qu’aucune formation politique ne dispose seule d’une majorité absolue. Elle rappelle ainsi que la Ve République est un régime parlementaire où des coalitions entre groupes politiques peuvent être nécessaires. La coordination des coalitions peut d’ailleurs passer par la création d’un intergroupe, dans la majorité (par exemple RPR-UDF, au cours de la Xe législature) comme dans l’opposition (NUPES, au cours de la XVIe législature). Former des coalitions n’est donc pas étranger à la culture parlementaire française. Depuis 1958, rares sont mêmes les législatures au cours desquelles un groupe disposait, seul, de la majorité absolue (IVe, VIIe, XIIe et XIIIe législatures ; dans les autres cas, l’hypothèse résultait de la coalition ou de l’alliance de plusieurs groupes). Ce qui pourrait être nouveau est, en revanche, la nature de la coalition.

Au sein de chaque bloc, ensuite, la question de l’importance relative des groupes qui les composent détermine fortement les équilibres. L’exemple du Nouveau Front Populaire (180-190 élus) et des groupes en son sein (au moins 4) le montre. D’autant qu’à la tripartition de la Chambre, s’ajoute une fragmentation des forces politiques. Le défi sera sans doute davantage de se prémunir contre la défiance de 289 députés que d’en obtenir le soutien systématique. Des groupes « charnières » ou « pivots » peuvent alors apparaître de même que la question de nouveaux regroupements affleure, y compris dans la perspective de groupes « techniques » rassemblant des parlementaires d’orientations politiques différentes mais faisant le choix du groupe pour les droits et les moyens qu’il permet de mettre en œuvre.

Au sein de certains groupes, enfin, peuvent également apparaître des tensions, voire des scissions liées à des choix politiques ou stratégiques divergents, ce qui a aussi une incidence sur le périmètre des groupes parlementaires. Renaissance l’illustre.

Dans ce contexte et pour les groupes, quels sont les enjeux immédiats ?

D’un point de vue institutionnel, il y a en a au moins deux.

Le premier est la désignation par les groupes de leurs présidents. Il s’agit là d’un poste clé. Les présidents représentent le groupe auprès des organes de la Chambre, siègent au sein de la Conférence des Présidents, disposent de prérogatives ès qualités, répartissent les responsabilités, animent et organisent l’action collective de leur formation… Toute l’activité parlementaire d’un groupe passe par son président qui l’incarne et qui est à l’interface permanente des députés, de l’Assemblée et de l’exécutif. L’aspiration nouvelle de personnalités politiques de premier plan en atteste.

Le second est le positionnement des groupes. L’enjeu est évidemment politique pour déterminer les groupes de la majorité et ceux de l’opposition, mais il est aussi institutionnel dès lors que des droits spécifiques sont reconnus aux « groupes d’opposition » et aux « groupes minoritaires ». La première vice-présidence de l’Assemblée et la présidence de la Commission des Finances sont réservées aux groupes d’opposition. Pour ces groupes, la création d’une commission d’enquête par session ordinaire est de droit de même que les fonctions de président ou de rapporteur des commissions d’enquête leur reviennent. À l’Assemblée nationale, « sont considérés comme groupes minoritaires ceux qui ne se sont pas déclarés d’opposition, à l’exception de celui d’entre eux qui compte l’effectif le plus élevé » (art. 19 RAN). Ces groupes disposent également de droits spécifiques. Or, dans la configuration de l’Assemblée nationale, cela aura nécessairement une incidence : sur les équilibres entre les groupes, sur l’organisation de l’Assemblée et sur le fonctionnement du Parlement.