Pierre Sellal, ambassadeur de France, a été notamment directeur de cabinet du ministre des affaires étrangères (alors Hubert Védrine) pendant toute la période  de cohabitation de 1997 à 2002. Il était secrétaire général adjoint des affaires européennes (auprès du Premier ministre) durant la cohabitation de 1986 à 1988, et représentant permanent adjoint de la France à Bruxelles pendant la cohabitation de 1993 à 1995. En 2018, Pierre Sellal a rejoint August-Debouzy en tant que senior counsel.

Que dit le texte constitutionnel ?

La Constitution de 1958 organise un exécutif bicéphale, avec d’un côté le Président de la République, élu au suffrage universel, de l’autre le Premier ministre nommé par le Président de la République et responsable devant l’Assemblée nationale.

Les rapports entre les deux têtes de l’exécutif sont certes définis par les articles 5, 15, 20 et 21 de la Constitution, mais se caractérisent en réalité, comme l’a souligné le Conseil constitutionnel, par une « certaine plasticité ». Dans la pratique, le centre de gravité du pouvoir est clairement du côté du Président de la République lorsque celui-ci dispose à l’Assemblé nationale d’une majorité acquise à sa politique ; il se déplace du côté du Premier ministre en situation dite de cohabitation, quand ce dernier est soutenu par une majorité parlementaire qui lui est acquise et ne correspond pas à la « majorité présidentielle ».

Les conjonctures politiques de non-cohabitation, assurément les plus nombreuses depuis 1958, donnent lieu à une lecture et à une mise en œuvre présidentialiste du texte constitutionnel, reposant sur une primauté incontestée du chef de l’Etat. Les périodes de cohabitation se caractérisent par une application plus littérale de ses dispositions, en particulier de son article 20 : c’est le gouvernement, dont le Premier ministre « dirige l’action », qui « détermine et conduit la politique de la nation ».

Comment se combinent les attributions en matière de politique étrangère et de défense ?

Pour la politique étrangère et dans le domaine de la défense, la dualité des attributions et des rôles respectifs est particulièrement affirmée. Ainsi, s’agissant de la défense, le Président de la République est le « chef des armées », et il est « le garant de l’indépendance nationale et de l’intégrité du territoire. Il préside le conseil de défense et de sécurité nationale. Cependant, la Constitution établit également que le Premier ministre, lui, est « responsable de la Défense nationale » et qu’il « dispose de la force armée ».

Pour la politique étrangère, le Président de la République nomme les ambassadeurs, en conseil des ministres, les accrédite auprès des pays étrangers, « négocie et ratifie les traités ».

Pour autant, c’est bien le Premier ministre qui dispose de l’administration, y compris de celle du ministère des affaires étrangères, propose à ce titre la nomination des ambassadeurs, et il n’est pas contestable que la négociation d’un traité s’inscrit pleinement dans la « politique de la nation » déterminée et conduite par le gouvernement.

Ainsi, aucune « sanctuarisation » de la politique étrangère et de la défense n’est assurée par les textes au bénéfice du Président de la République. En revanche, le gouvernement ne peut imposer à ce dernier des choix de nomination ou des orientations diplomatiques majeures qui ne rencontreraient pas son accord.

En pratique, comment ça marche ?

A l’expérience des conjonctures politiques rencontrées au cours des 40 dernières années, deux pratiques exécutives se sont manifestées :

Dans les périodes de concordance entre les majorités présidentielle et parlementaire : un continuum fluide entre l’administration, le gouvernement et le Président de la République, marqué par l’autorité verticale incontestée de ce dernier.

Dans les situations de cohabitation : des risques de tension, dans les nominations, dans les choix en matière de défense supposant des arbitrages budgétaires, ou encore dans la définition des orientations diplomatiques, surmontés avec plus ou moins de difficulté selon les moments par le besoin d’un commun accord pour les nominations (le Président peut refuser la  nomination d’un ambassadeur, mais il ne peut pas imposer un autre candidat) et, surtout, par le souci de faire en sorte que la France « parle d’une seule voix » dan ses relations internationales.

Ce dernier principe avait caractérisé la relation entre le Président de la République et le Premier ministre pendant la dernière période de cohabitation (de 1997 à 2002), au prix d’un effort constant de définition de positions communes, notamment sur les sujets européens (la négociation du traité de Nice par exemple). En matière de défense, le gouvernement avait alors fortement marqué ses prérogatives sur tous les aspects budgétaires, en refusant qu’ils soient décidés en conseil de défense, sans pour autant contester les responsabilités du Président en tant que chef des armées.

Aussi bien, la balance et les inflexions du pouvoir, le degré d’âpreté ou au contraire de fluidité de la relation entre les deux têtes de l’exécutif, en période cohabitation, dépendent moins de l’exégèse constitutionnelle des textes que d’un niveau suffisant de convergence de leurs positions fondamentales, en matière de politique étrangère et de défense, et du rapport de forces politique existant entre eux.