Par Jacques-Henri Robert, Professeur émérite de l’Université Paris II Panthéon-Assas

L’édition en ligne du journal Le Monde titra le soir de la manifestation : « Les néofascistes du Comité du 9 mai défilent à Paris en toute impunité pour leurs 30 ans ». À lire cet énoncé, on pourrait croire que le juge des référés du tribunal administratif s’est associé à une entreprise à la fois antirépublicaine et criminelle, en assurant « l’impunité » à ses auteurs. Malheureusement, son ordonnance n’a pas été publiée intégralement en sorte qu’on ne peut ni confirmer ni infirmer ce grief. On ne peut qu’imaginer les arguments invoqués par les parties au référé, la préfecture de police d’une part et les manifestants requérants d’autre part. Les discussions pourraient avoir porté sur trois points : la personnalité des organisateurs et des manifestants ; l’objet de la manifestation et enfin le risque de trouble à l’ordre public.

La personnalité des organisateurs et des manifestants était-elle un motif d’interdiction ?

On lit sur le site  Wikipedia que le Comité du 9-Mai est un «  groupe informel constitué de plusieurs mouvements d’extrême droite, rassemblant nationalistes, néofascistes et néonazis au tournant des années 2020 ». S’il mérite vraiment les deux derniers qualificatifs, son objet est illicite et sa manifestation devait être interdite. Mais ces adjectifs ne lui ont été appliqués, et à de nombreuses reprises, que par des journalistes, cités par Wikipedia, et jamais par l’autorité publique qui se contente de dire, non sans raison, que le Comité est d’extrême droite. Or, ce courant politique n’est pas interdit et par conséquent, la considération des convictions politiques de la personne qui a souscrit une déclaration de manifestation n’est pas, à elle seule, un motif d’interdiction, quoiqu’elle puisse susciter des craintes pour des motifs d’ordre public.

L’administration qui reçoit la déclaration de manifestation connaît les déclarants mais ne peut que faire des conjectures sur l’identité des personnes qui viendront manifester. Comme la liberté d’opinion, « même religieuse », est affirmée par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ces conjectures ne sauraient être un motif d’interdiction. Ainsi, par exemple, il est possible que les réunions de la Manif pour tous, devenue Le syndicat de la famille, rassemblent des royalistes et des admirateurs de Mussolini, de Pétain et de Franco, mais elles ont échappé à l’interdiction malgré cette probabilité. Il en serait autrement si les manifestants s’assemblaient pour la défense d’un objet illicite.

L’objet de la manifestation du Comité du 9-Mai était-il illicite ?

Toute manifestation a un objet qui est l’expression d’une volonté collective. Or, il peut être illicite et fonder une juste interdiction. C’est le cas quand il consiste en la haine raciale, en l’incitation à ne pas payer l’impôt comme dans le cas des Bonnets rouges, ou en l’apologie du terrorisme, ce dernier motif étant actuellement très sensible. Les déclarants du Comité du 9-Mai se sont évidemment gardés de proposer l’établissement d’un régime antirépublicain en France. Le but déclaré de leur manifestation était d’honorer la mémoire d’un manifestant nationaliste mort le 9 mai 1994 alors qu’il protestait contre l’impérialisme américain et qui, poursuivi par la police, était tombé d’un toit. Mais le préfet de police a cherché, sous ce motif avoué, des motifs réels qu’il trouva dans les précédentes manifestations du même comité, lesquelles furent en effet marquées par des expressions politiques extrêmes, comme celle de 2023 au cours de laquelle fut brandie la croix celtique, emblème du parti « Occident » dissous, furent chantés des hymnes nationalistes et furent expulsés des journalistes. Mais, encore une fois, ces opinions, même extrêmes, ne fournissaient pas un motif suffisant d’interdiction. Le préfet de police s’était donc fondé sur le risque de trouble à l’ordre public.

Existait-il un trouble à l’ordre public ?

À la suite de cette manifestation de 2023, le ministre de l’intérieur avait pris l’engagement de s’opposer, par l’intermédiaire des préfets à chaque manifestation déclarée à l’initiative de « tout militant d’ultradroite ou d’extrême droite, ou de toute association ou collectif, à Paris comme partout sur le territoire ». C’est à cette injonction que s’était conformé le préfet de police. Dans les motifs de son arrêté, il invoqua « l’historique des débordements de manifestations, où de tels slogans [« Europe, jeunesse, révolution !] » ont été scandés, fait craindre, dans un contexte social et international tendu, que des propos nationalistes appelant à la haine et à la discrimination soient prononcés » ; il ajoutait qu’on pouvait craindre des «  affrontements avec des militants aux opinions antagonistes ,» ce qui est un motif légitime d’interdiction, même quand les manifestants sont irréprochables. Exerçant son pouvoir d’appréciation factuelle, le juge des référés décida que ces risques n’étaient pas si considérables que le disaient le ministre et le préfet ;  le magistrat  pouvait aussi se fonder sur le petit nombre de manifestants réunis lors des précédentes convocations du Comité du 9-Mai : 300 en 2019 et 2022, 550 en 2023.