Pierre Sellal, ambassadeur de France, a été notamment directeur de cabinet du ministre des affaires étrangères (alors Hubert Védrine) pendant toute la période de cohabitation de 1997 à 2002. Il était secrétaire général adjoint des affaires européennes (auprès du Premier ministre) durant la cohabitation de 1986 à 1988, et représentant permanent adjoint de la France à Bruxelles pendant la cohabitation de 1993 à 1995. En 2018, Pierre Sellal a rejoint August-Debouzy en tant que senior counsel.

Qui siège au nom de la France au Conseil européen ?

Aux termes du traité, le Conseil européen est composé des « chefs d’Etat ou de gouvernement » des Etats membres. Il appartient à chacun de ces derniers, en fonction de leur organisation institutionnelle, de décider de leur représentation. A l’heure actuelle, pour 5 d’entre eux, c’est le Président de la république qui siège au Conseil européen (France, Bulgarie, Chypre, Lituanie et Roumanie), alors que la présence du chef de l’Etat avait longtemps été une exclusivité française. Les 22 autres sont représentés par leur chef de gouvernement. On observera à cet égard que les présidents portugais et polonais, tous deux élus au suffrage universel, ne siègent pas au nom de leur pays au Conseil européen.

Les tensions que la représentation du pays au Conseil européen étaient susceptibles de provoquer en période de cohabitation ont été fortement atténuées lors des 3 épisodes de ce type qu’avait connus la France par le fait que chaque pays disposait alors de deux sièges au Conseil européen, occupés respectivement par le Président de la république et le Premier ministre. Tel fut encore le cas entre 1997 et 2002. Cette situation appelait assez naturellement une coordination étroite entre les deux têtes de l’exécutif, voire une répartition des rôles et des interventions définies préalablement d’un commun accord.

Désormais, en application de décisions prises dans le contexte des derniers élargissements de l’Union, chaque Etat membre ne dispose plus que d’un seul siège au Conseil européen. La tradition française, depuis les origines du Conseil européen (du à une initiative du président Giscard d’Estaing) justifie de confier cette représentation unique au chef de l’Etat.

Que peut décider le Conseil européen ?

Depuis de nombreuses années, toutes les grandes décisions politiques engageant l’avenir de l’Union (révision des traités, élargissement, fixation du cadre financier pluriannuel…) sont prises par le Conseil européen. Toutefois, celui-ci, comme le souligne le traité, « n’exerce pas de fonction législative ». Aussi, la mise en œuvre de ses orientions et de ses décisions doivent donner lieu à des propositions législatives élaborées par la Commission (directives, règlements, budget annuel, etc.) qui font l’objet ensuite de négociations entre les Etats membres et d’une procédure d’adoption associant le Parlement européen et le Conseil des ministres, dans ses diverses formations.

Il est important de souligner que le Conseil européen ne dispose d’aucune autorité hiérarchique ou juridique sur le Conseil des ministres, ni de la capacité de réformer les décisions prises par l’une ou l’autre des formations du Conseil. Dans la pratique, c’est l’autorité « domestique » qu’exerce le Président de la république ou le Premier ministre sur ses propres ministres qui assure le respect et le suivi par les formations du Conseil auxquelles ces ministres appartiennent des orientations définies par le Conseil européen et auxquelles le Président ou le Premier ministre ont souscrit.

En période de cohabitation, où l’autorité du Président sur le gouvernement est atténuée voire inexistante, s’impose en pratique une préparation précise des réunions du Conseil européen et la recherche préalable d’une position agréée entre Président et gouvernement : une prise de position singulière du Président au cours d’un Conseil européen qui ne serait pas ensuite confirmée , au stade de sa mise en œuvre, par le ministre représentant la France dans le Conseil compétent exposerait  à une perte complète de crédibilité vis-à-vis des institutions de l’Union et des partenaires de la France. Le chef de l’Etat, dont la parole serait ainsi dévaluée, y compris auprès de ses pairs, en serait la première victime.

Qui désigne le membre français de la Commission ?

La Commission est composée « d’un ressortissant de chaque Etat membre », et le choix final des « personnalités « qu’elle rassemble est effectué par le Conseil « sur la base des suggestions faites par les Etats membres ». Ces dispositions du traité soulignent implicitement que les membres de la Commission ne sont pas les représentants de leurs Etats membres respectifs. La responsabilité de représenter le gouvernement national auprès de l’Union européenne et de ses institutions européennes est en réalité celle de l’ambassadeur, représentant permanent de son pays, et non du « commissaire national ». Comme le souligne encore le traité, un membre de la Commission, choisi au titre de sa « compétence générale » et de son « engagement européen » doit aussi offrir « toutes garantie d’indépendance ». En d’autres termes, il ne doit pas recevoir d’instructions de son gouvernement.

En pratique, chaque gouvernement désigne généralement un membre de la Commission correspondant à ses orientations politiques. Pour certains Etats membres, le poste de commissaire s’inscrit même dans les équilibres entre partis politiques de la coalition au pouvoir. Toutefois, il est de tradition qu’un commissaire désigné par un gouvernement reste en place jusqu’au terme de son mandat dans l’hypothèse de la survenance d’une alternance dans le pays considéré.

Lors des 3 périodes précédentes de cohabitation, les difficultés que pouvait soulever le choix des membres français de la Commission étaient évacuées par le fait que la France, comme les autres « grands Etats membres » disposait encore de deux commissaires, qui se trouvaient être d’une sensibilité politique proche respectivement du Président ou du Premier ministre.

Il appartient à chaque Etat membre de « suggérer » le nom d’une personnalité ressortissant de son pays pour être membre de la Commission. Le président de la République dispose à cet égard d’un droit éminent à exprimer un choix ou une préférence. Cependant, dès lors que c’est le Conseil, où siègent les ministres, qui adoptera in fine la liste des membres de la Commission (sans préjudice des éléments de la procédure impliquant le Parlement européen), un commun accord sur la personnalité choisie entre le Président et le gouvernement apparait indispensable.