Par Stéphane Detraz, Maître de conférences, Université Paris-Saclay, faculté Jean Monnet

L’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental entraîne-t-elle l’arrêt de la procédure ?

Non, la procédure continue, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, pour que l’auteur des faits bénéficie de l’irresponsabilité pénale, le « trouble psychique ou neuropsychique » qui en est le motif doit être dûment établi. La poursuite de l’enquête puis l’ouverture éventuelle d’une information judiciaire permettront ainsi de recueillir tous les éléments de preuve nécessaires à cette fin. Il se peut même qu’une juridiction de jugement soit finalement saisie, en cas de doute persistant sur l’existence et la portée du trouble mental allégué. En effet, la question est complexe, puisqu’il faut éclaircir trois points principaux, qui sont autant de conditions pour que l’irresponsabilité pénale soit reconnue : ce trouble est-il réel (car l’incohérence, la gratuité ou l’horreur de l’infraction ne suffisent pas établir que son auteur est « fou ») ; a-t-il aboli le discernement de l’intéressé (car si le discernement est simplement « altéré », l’alinéa 2 de l’article 122-1 ne prévoit qu’une atténuation de responsabilité) ; était-il à l’œuvre au moment même des faits (car un individu atteint épisodiquement d’un trouble mental mais qui est suffisamment lucide à l’instant de passer à l’acte reste responsable) ? En outre, depuis la loi du 24 janvier 2022, qui a fait suite à l’affaire Halimi, un trouble temporaire dû à une consommation de substances psychoactives réalisée en vue de commettre l’infraction n’est plus source d’irresponsabilité pénale (article 122-1-1 du Code pénal).

Ainsi, tout au long de la procédure, des expertises, complément d’expertises et contre-expertises, notamment d’ordre psychiatrique, pourront et devront être réalisés, ce qui prend du temps et présente des difficultés notoires. Ces expertises sont à l’évidence tout à fait déterminantes de l’issue de la procédure, en tant qu’éléments principaux de nature à forger la conviction des magistrats. Certes, ces derniers restent souverains dans l’appréciation du trouble mental : ils ne sont pas légalement tenus de suivre les conclusions des experts. Mais, de facto, le caractère hautement technique de la question les prive de la possibilité de porter sur celle-ci un jugement parfaitement autonome. Leur rôle n’est pas nul pour autant, surtout lorsque les diverses expertises effectuées ne sont pas toutes concordantes.

En second lieu, le trouble mental n’interrompt pas la procédure car il s’agit d’une cause d’irresponsabilité pénale toute particulière.

En quoi consiste l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ?

Le trouble mental est très différent, par ses suites, des autres causes d’irresponsabilité pénale prévues par la loi, telles que la légitime défense ou l’état de nécessité. Il entraîne certes les mêmes conséquences principales : l’auteur des faits ne peut pas être judiciairement déclaré coupable de l’infraction et ne peut donc pas, non plus, être condamné aux peines applicables à l’infraction. Mais, depuis la loi du 25 février 2008, la personne qui est reconnue pénalement irresponsable pour cause de trouble mental reste entre les mains de la justice pénale, ce qui n’est pas le cas pour les autres causes d’irresponsabilité pénale. En effet, ces dernières entraînent pour l’individu une irresponsabilité totale, grâce à laquelle il peut bénéficier, selon la phase de la procédure atteinte, d’un classement sans suite (au stade des poursuites), d’un non-lieu (au stade de l’instruction préparatoire) ou bien d’une relaxe ou d’un acquittement (au stade du jugement), c’est-à-dire d’une mise hors de cause pleine et entière. En revanche, en cas de trouble mental, les articles 706-119 et suivants du Code de procédure pénale prévoient que les juridictions pénales saisies de l’affaire doivent prononcer une décision dite « d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental », qui n’est pas assimilable à un non-lieu ou à une relaxe ou un acquittement, et par laquelle il est déclaré que l’intéressé a bien commis les faits (si c’est au stade du jugement) ou qu’il y a suffisamment de charges en ce sens (si c’est au stade de l’instruction). De surcroît, ces textes permettent aux juges d’ordonner à l’égard de la personne concernée des « mesures de sûreté », telles que l’interdiction de porter une arme, d’exercer une activité professionnelle ou encore de fréquenter certaines personnes (outre une hospitalisation complète), en vue de parer à sa dangerosité. Ainsi, bien que reconnu « pénalement irresponsable » en raison de son trouble mental, l’individu fait l’objet d’une décision judiciaire qui ressemble beaucoup à un jugement de condamnation.

La victime pâtit-elle de l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ?

La victime (ou ses ayants-droit si elle est décédée) peut à l’évidence ressentir la reconnaissance judicaire de l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental comme une injustice. Mais la loi précitée du 25 février 2008 leur offre précisémentla compensation d’une décision spécifique de déclaration d’irresponsabilité pénale, se substituant au non-lieu ou à la relaxe ou l’acquittement. En outre, en complément de cette décision, la juridiction pénale peut se prononcer sur la responsabilité civile de l’auteur des faits et, ainsi, le condamner à indemniser la victime si celle-ci s’est constituée partie civile. En effet, le trouble mental n’est pas une cause d’irresponsabilité civile : il laisse entier le droit qu’a la partie lésée de voir les dommages qu’elle a subis réparés par l’auteur des faits.