Par Déborah Eskenazy, Maitre de conférences à l’Université Paris Saclay

Un complément alimentaire, vraiment ?

D’après les informations présentées sur le site de la marque, la poudre Sniffy est composée de caféine, d’arginine, de créatine, de citrulline, de taurine, d’alanine et de maltodextrine et l’entreprise la présente comme un complément alimentaire.

La réglementation des compléments alimentaires est fixée par la directive 2002/46 du 10 juin 2002 et par le décret n° 2006-352 du 20 mars 2006 qui en a fait la transposition en droit français aux termes desquels les compléments alimentaires sont des « denrées alimentaires dont le but est de compléter le régime alimentaire normal et qui constituent une source concentrée de nutriments ou d’autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique seuls ou combinés, commercialisés sous forme de doses ». Or, les denrées alimentaires sont définies par le règlement 178/2002 du 28 janvier 2002 comme des substances ou produits, transformés, partiellement transformés ou non transformés, destinés à être ingérés ou raisonnablement susceptibles d’être ingérés par l’être humain. Une prise par voie nasale ne correspond donc pas à la définition d’une denrée alimentaire et, par suite, d’un complément alimentaire.

Par ailleurs, si les substances contenues dans la poudre Sniffy sont bien listées parmi les substances dites à but nutritionnel ou physiologique autorisées dans les compléments alimentaires par l’arrêté du 26 septembre 2016, tout complément alimentaire doit, avant sa commercialisation, être déclaré à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes(DGCCRF), formalité dont on peut douter qu’elle ait été accomplie ici.

La poudre Sniffy est-elle pour autant un stupéfiant ?

Si elle ne répond pas, sous sa forme à inhaler, à la définition d’un complément alimentaire et ne peut donc être commercialisée sous cette qualification, la poudre Sniffy est-elle pour autant illégale et peut-elle être considérée comme un stupéfiant ? Il faut savoir qu’il n’existe pas de définition de la notion de stupéfiant en droit français, ni d’ailleurs en droit européen ou international. Aux termes des articles L. 5132-1 et L. 5132-7 du code de la santé publique, il existe une liste des substances vénéneuses au sein desquelles figurent les substances classées comme stupéfiantes par le directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Les produits stupéfiants sont donc ceux qui sont classés comme tels et il en va de même dans le cadre de la convention internationale qui régit ce sujet (Convention unique sur les stupéfiants conclue à New York le 30 mars 1961). Tel est le cas de la cocaïne mais pas des substances contenues dans la poudre Sniffy comme nous l’avons vu plus haut.

Quelle est la marge de manœuvre du gouvernement français face à un produit qui présente des risques pour la santé publique ?

Qu’un produit soit légal n’empêche cependant pas les autorités d’en restreindre la vente. En effet, le ministre de la Santé dispose d’un pouvoir de police sanitaire et peut donc prendre des actes administratifs allant jusqu’à l’interdiction de commercialisation. Ce pouvoir s’exerce sous le contrôle du juge administratif qui en contrôle notamment la proportionnalité au regard de l’objectif poursuivi. Autrement dit, il vérifie qu’il n’existe pas un moyen moins restrictif qu’une interdiction pour protéger la santé publique. Le Conseil d’État a par exemple annulé les dispositions réglementaires qui restreignaient la vente de CBD sous forme de fleurs et feuilles de cannabis.

Par ailleurs, une mesure qui interdit la commercialisation d’un produit constitue, au sens du droit européen, une règle technique et doit, en vertu de la directive 2015/1535 du 9 septembre 2015, être notifiée à la Commission européenne avant d’être adoptée. C’est ce qu’a fait le gouvernement français le 3 juin 2024 en communiquant un projet d’arrêté « portant suspension de la mise sur le marché des produits vendus sous forme de poudre destinés à être consommés par voie intranasale ». Parmi les motifs exposés pour justifier cette interdiction, sont mentionnés la présentation, l’apparence générale, la modalité spécifique de consommation par voie intranasale et la promotion des effets stimulants attendus du produit qui « imite la cocaïne, substance dont la consommation et la vente sont illicites en France, et entretient volontairement une confusion avec la consommation de stupéfiants, de nature à banaliser leur usage notamment chez un public jeune » ainsi que « le risque avéré, en cas d’usage répété, de fragilisation des voies nasales, de saignements, de congestion, d’infections des sinus, pouvant aller jusqu’à une rupture du septum ».

Lorsqu’il sera entré en vigueur, cet arrêté permettra d’interdire la vente de toute poudre énergisante à inhaler, sauf s’il est contesté devant le juge administratif par l’entreprise à l’origine d’un tel produit ou par un revendeur.