Par Valérie Depadt, Maître de conférences HDR à l’Université Paris 13 Nord

À l’occasion de deux requêtes qui ont fait l’objet d’une jonction, la Cour européenne a reconnu la conventionnalité de l’interdiction de procréation post-mortem, en concluant unanimement à l’absence de violation de l’article 8 relatif au respect de la vie privée et familiale. Selon les juges strasbourgeois, « les autorités internes ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu, et que l’État défendeur n’a pas outrepassé la marge d’appréciation dont il disposait ».

L’interdiction de procréation post-mortem recouvre deux réalités différentes qui, dans le cadre des nombreuses réflexions menées sur le sujet, ont toujours été relevées. Chacune était d’ailleurs illustrée par les affaires portées devant la Cour européenne.

Insémination post mortem : kesako ?

L’l’insémination post mortem consiste pour une femme à être inséminée à l’aide des paillettes déposées au Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS) par son mari ou son compagnon décédé. Tel était le cas de la première situation, dans laquelle la femme veuve demandait au CECOS l’exportation des gamètes de son mari, décédé des suites d’un cancer, vers un établissement de santé espagnol. 

Le transfert d’embryon post mortem consiste à transférer dans l’utérus de la femme survivant au décès de l’autre membre du couple un ou plusieurs embryons congelés conçus dans le cadre d’un protocole d’assistance médicale à la procréation (AMP). Cette hypothèse correspond à celle de la seconde affaire, dans laquelle la veuve d’un homme décédé d’une leucémie demandait le transfert des embryons vers le centre d’AMP de l’hôpital de Barcelone.

L’OPECT, dès 2008, relevait que « Pour les rapporteurs, seule l’existence de l’embryon fait sens ». Le CCNE considère également que le transfert d’embryons devrait pouvoir être autorisé. Dans son avis 129, il remarque que « Si l’homme décède, c’est à la femme qu’il revient de prendre toute décision sur le devenir de l’embryon cryoconservé sauf, paradoxalement, celle de demander son transfert in utero dans l’espoir de mener à bien une grossesse ».

Nouvelle loi

Cependant cette distinction, tout en restant d’importance, semble avoir perdu de sa portée depuis l’entrée en vigueur de la loi du 2 août 2021. De la mise en rapport de l’interdiction en cause avec l’ouverture de l’AMP aux femmes non mariées, il ressort qu’une femme survivant à la personne avec laquelle elle avait formé le projet parental qui l’a conduite vers l’AMP ne pourra poursuivre leur projet commun mais qu’elle pourra, si elle le souhaite, entamer une nouvelle procédure d’AMP en tant que femme non mariée, un don de gamètes lui permettant de concevoir à nouveau.

Les juges strasbourgeois incitent la France à réfléchir en soulignant ce qui, aujourd’hui, apparaît à beaucoup comme un paradoxe. La Cour rappelle que « malgré l’ample marge d’appréciation dont bénéficient les États en matière de bioéthique, le cadre juridique mis en place par ces États doit être cohérent ».

Intérêt de l’enfant

Le droit français, strictement entendu, peut apparaître cohérent : interdire la poursuite du projet en raison du risque que l’enfant naisse orphelin, permettre à la femme survivante un projet « différent », dans lequel l’enfant aura été conçu à l’aide d’un don.

Mais au-delà de cette réflexion bien ordonnée, le droit, en refusant à la femme d’effectuer le choix de poursuivre ou non le projet en cours au moment du décès, ne se livre-il pas à un paternalisme dont on sait qu’il n’est plus de mise, notamment en matière médicale ? Dans les deux cas soumis à la Cour, les époux décédés avaient fait connaître leur souhait que leurs épouses puissent avoir recours à l’AMP au cas où ils viendraient à décéder avant le commencement d’une grossesse.  

Les raisons du droit sont-elles suffisamment solides pour justifier son maintien ? À l’heure où la récente décision Gauvin- Fournis et Sillau (CEDH, 7 septembre 2023, Gauvin-Fournis et Silliau c. France, n° nos 21424/16 et 45728/17.), dans laquelle deux personnes conçues par dons de gamètes demandent à accéder à quelques informations concernant leurs donneurs, nous rappelle les difficultés inhérentes à ce type de dons, comment être assuré, au point de le maintenir inscrit dans la loi, qu’une telle solution est conforme à l’intérêt de l’enfant ?