Par Annabelle Allouch, maîtresse de conférences en sociologie, UPJV CURAPP et Delphine Espagno-Abadie, maîtresse de conférences en droit public, Sciences Po Toulouse LaSSP, Contester Parcoursup. Sociologie d’une plainte, Presses de Sciences Po, Avril 2024

La loi ORE du 8 mars 2018 (loi n°2018-166) instaure une procédure dématérialisée d’appariement des élèves du secondaire dans le supérieur pour toutes les filières de formation sur l’ensemble du territoire. La loi du 23 décembre 2016 clarifie la sélection en master mise en place depuis 2002. Depuis janvier 2023, la plateforme MonMaster succède à Trouvemonmaster (décret n°2023-113).

La plateforme Parcoursup, à la différence de MonMaster pour la sélection en master, est algorithmique. A l’issue d’une phase d’admission, il arrive que certaines candidatures soient rejetées. Les étudiantes et étudiants ont alors la possibilité de saisir la commission d’accès à l’enseignement supérieur (CAES), placée sous l’autorité du recteur de région au rectorat, pour obtenir une affectation, qu’ils ne sont pas tenus d’accepter. Les modalités de saisine de cette commission sont également organisées pour celles et ceux qui n’ont pas obtenu de place en master.

Dans le cadre de l’enquête que nous avons menée, soutenue par le Défenseur des droits et l’INJEP, nous avons étudié d’une part les réclamations portées devant le Défenseur des droits par celles et ceux qui, concernant le deuxième cycle n’ont pas obtenu la formation de leur choix et concernant l’accès en L1, les réclamations liées à Parcoursup et aux décisions de refus d’affectation ; d’autre part, la manière dont les usagers se saisissent du droit de l’éducation pour contester ces décisions de refus d’admission.

Une contestation juridique aux effets variables pour un sentiment d’injustice grandissant

Il s’avère que les usagers du service public de l’enseignement supérieur, en application des textes, notamment celles et ceux qui bénéficient d’un capital procédural (Spire et Weidenfeld, 2011) et d’un capital social et économique, n’hésitent pas à utiliser le droit au recours pour contester les décisions de refus.

La contestation des décisions de refus d’admission suit un processus en plusieurs étapes : un recours gracieux, un recours devant la CAES, une saisine du juge administratif, le plus souvent dans le cadre d’un référé-suspension visant à obtenir la suspension en urgence de la décision de refus et parfois l’injonction de la part du juge administratif d’une inscription provisoire dans la filière demandée. Ce parcours procédural est plus ou moins bénéfique pour l’usager contestataire qui n’obtient satisfaction que rarement concernant l’admission en L1 et uniquement si la non-affectation dans la filière de son choix est liée à un dysfonctionnement de la plateforme ; de manière plus régulière lorsqu’il s’agit de contester la décision de refus d’admission en deuxième cycle. Si les recours gracieux aboutissent rarement dans les deux cas de figure, sauf erreur matérielle des commissions d’admission, les recours devant le juge administratif, plus rares, sont toutefois plus efficaces pour la sélection en master notamment dans les filières en tension (filières dans lesquelles les demandes d’inscriptions sont supérieures aux capacités d’accueil). Dans le cadre de l’enquête, l’étude de la jurisprudence entre 2016 et 2023 démontre que le nombre de recours contre les décisions de refus d’admission en L1 et Parcoursup sont en diminution par rapport à 2018 (1% de recours en 2020 contre 6% en 2019, 8% en 2018 et 22% en 2017 concernent l’accès en L1, LIJ Bilan contentieux du ministère de l’éducation, 2020-2021). En revanche, les recours, notamment en référé contre la sélection en master sont en augmentation régulière et le contentieux ne se tarit pas (5% de nouveaux recours en 2020, LIJ Bilan contentieux du ministère, 2020-2021). Tout comme les avocats qui défendent les étudiants dans le cadre du contentieux de l’accès à l’enseignement supérieur ou à la poursuite d’études, nous mettons en avant le fait que ces contestations relèvent d’un contentieux de niche. Toutefois, il n’est pas possible, au regard des effets que produisent ces modes de sélection, d’une part sur les usagers comme sur les établissements de considérer qu’ils n’ont pas d’importance.

Une contestation par le droit sur des moyens relatifs à la procédure

Contester une décision d’une commission d’admission ou d’un jury conduisant à un rejet de candidature sur Parcoursup ou sur MonMaster conduit à une reconfiguration des relations entre les usagers et les institutions universitaires. Se servir du droit de l’éducation pour faire valoir son droit à la poursuite d’études ou à l’accès à l’enseignement supérieur traduit une appropriation progressive, par les usagers comme par les familles, des dispositifs juridiques prévus par les textes. L’information, fournie par l’établissement et par les plateformes d’appariement, de la possibilité de connaître les motifs qui ont conduit au rejet de la candidature, comme l’existence de voies et délais de recours, donne lieu au déploiement par les syndicats étudiants, comme par les associations de parents d’élèves de kit sur Parcoursup ou de réunions d’informations sur MonMaster. Dès lors, l’accès au droit, facilité par les textes comme par les syndicats ou associations, conduisent les usagers à mettre en avant leurs droits à bénéficier de la formation de leur choix. Quand ils jouissent de moyens financiers suffisants (très peu de demandes d’aides juridictionnelles dans la jurisprudence de l’admission), d’un capital social et culturel auxquels il convient d’ajouter un minimum de connaissances des procédures, ils n’hésitent pas à saisir le juge administratif avec le soutien d’un avocat publiciste plutôt spécialisé en droit de l’éducation.

Ce chemin parcouru de la plainte au recours contentieux oblige les établissements universitaires, et plus spécifiquement les services juridiques des universités, dans une période courte (de juillet à septembre) à organiser le travail de défense, la rédaction de mémoire en défense. Sur l’ensemble des 232 décisions juridictionnelles, entre 2016 et 2023, que nous avons examiné, seules 35% sont favorables à l’usager, tout niveau de formation confondu. C’est le non-respect des procédures qui entraîne le plus souvent l’échec de la défense des universités, donc plutôt de moyens de légalité externe que de légalité interne. Ainsi, le juge administratif refusant d’apprécier l’évaluation des qualités académiques d’un requérant dans le respect du principe de souveraineté des jurys, les moyens invoqués relatifs à la rupture d’égalité ou au défaut d’appréciation des qualités d’un dossier par rapport à un autre est inefficace. Les avocats le savent et orientent le recours, dans la mesure du possible, sur des défauts de procédure.