Par Emmanuel Derieux, Professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas

Quels manquements sont reprochés au journaliste ?

Reproche est fait à Jean-François Achili d’avoir participé à l’élaboration de l’ouvrage du Président du RN, Jordan Bardella – ce que le journaliste dément – et donc d’avoir manqué à l’obligation de neutralité qui prévaut dans le cadre du secteur public de la radiodiffusion et, particulièrement, de n’avoir pas respecté l’obligation qui, par contrat, est faite au personnel de la société de radiodiffusion, de soumettre à autorisation des responsables de la rédaction ou de la station toute collaboration extérieure, telle que celle en cause en l’espèce ou constitutive de ce qui, dans le langage professionnel courant, est qualifié de « ménage » : animation de conférences, formation à la communication ou « media training »…

Dans le secteur public de la radiodiffusion, une telle exigence d’exclusivité, d’indépendance et de neutralité, constitue une condition et garantie de la qualité du service rendu et de la confiance qui, en conséquence, lui est accordée par le public dont les droits sont ainsi reconnus.

Un tel manquement supposé justifie-t-il la sanction d’un licenciement ? Approuvée par certains, une telle mesure est dénoncée par d’autres qui y voient une mesure partisane, confirmant l’orientation idéologique cachée de la station, et qui n’aurait pas été prononcée à l’encontre d’engagements en faveur d’autres tendances politiques. On est cependant très loin des « chasses aux sorcières » et des « mises au placard », très critiquables, des temps anciens de la radio-télévision publique.

Imposée aux journalistes, l’obligation d’indépendance et de neutralité – qui est sans doute tout autant un droit qu’un devoir – peut également être considérée comme la contrepartie du droit, consacré par l’article 2 bis (introduit par la loi du 14 novembre 2016) de la loi du 29 juillet 1881, qui leur est reconnu, « de refuser toute pression » venant de leur employeur, ou de ne pas « être contraint à accepter un acte contraire à sa conviction professionnelle formée dans le respect de la charte déontologique de son entreprise », et surtout de la dite « clause de conscience » dont, en application de l’article L. 7112-5 du Code du travail, ceux-ci peuvent se prévaloir, leur permettant de donner leur démission, tout en bénéficiant du droit à indemnités dites « de licenciement », notamment en cas de « changement notable dans le caractère ou l’orientation » de la publication, « si ce changement crée, pour le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa réputation ou, d’une manière générale, à ses intérêts moraux ».

De quelles voies de recours dispose le journaliste pour contester son licenciement ?

Le licenciement prononcé peut être porté, par le journaliste comme par tout autre salarié, en première instance (susceptible d’appel et de pourvoi en cassation), devant le Conseil de prud’hommes, juge des conflits du travail, qui appréciera l’existence, la nature et la gravité de la faute reprochée et considérera si elle justifie la mesure prise, au regard des exigences du secteur public de la radiodiffusion, des obligations contractuelles de ses collaborateurs, des garanties de leur libre entreprise et de leur liberté d’opinion et d’expression, s’agissant d’activités extérieures à l’exercice de leur métier.

Ledit Conseil des prud’hommes pourra confirmer la mesure de licenciement ou, au contraire, l’annuler, éventuellement ordonner la réintégration de l’intéressé et, à tout le moins, lui accorder certaines indemnités, telle qu’une indemnité pour licenciement abusif ou sans cause réelle et sérieuse, s’ajoutant aux indemnités de licenciement différemment déterminées.

Quelle est la spécificité du statut des journalistes en matière de droit à indemnités de licenciement

Aux termes de l’article L. 7112-3 du Code du travail, « si l’employeur est à l’initiative de la rupture » du contrat de travail, sans faute du journaliste, celui-ci a « droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois par année ou fraction d’année de collaboration, des derniers appointements. Le maximum des mensualités est », pour ce mode de détermination automatique, « fixé à quinze ».

L’article L. 7112-4 dudit Code prévoit qu’une « commission arbitrale […] composée paritairement d’arbitres désignés par les organisations professionnelles d’employeurs et de salariés », et « présidée par un fonctionnaire ou par un magistrat », est « saisie pour déterminer l’indemnité due », soit « lorsque l’ancienneté », du journaliste, dans l’entreprise, « excède quinze années », soit, quelle que soit cette ancienneté, « en cas de faute grave ou de fautes répétées »… avec des risques de divergences d’appréciations, quant à la nature et la gravité des fautes reprochées, entre celle émanant du Conseil des prud’hommes et celle de ladite commission.

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Même si elles ne compensent pas tous les effets d’un licenciement qui serait considéré comme injustifié, les voies de recours et les différentes indemnités qui peuvent alors être dues limitent sans doute les risques que de telles mesures soient prises, sans raison, par un employeur, à l’encontre de journalistes, à cet égard mieux protégés – officiellement en raison de la spécificité de leur activité intellectuelle, d’information ou d’opinion – que ne le sont d’autres salariés. Il appartiendra aux juridictions saisies, pleinement informées des faits de l’espèce, d’en décider.