Par Fanny Jacquelot, maître de conférences HDR, Faculté de droit de Saint-Etienne 

Le tourbillon infernal du dispositif de prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA)

Pour accéder à une prise en charge, le mineur non accompagné, c’est-à-dire le jeune migrant qui se retrouve sur le territoire national sans représentant légal, doit effectivement être considéré comme ayant moins de 18 ans. Il doit donc prouver son âge mais bien souvent n’y arrive pas. Pourquoi ? Parce que nonobstant la présomption d’authenticité des documents d’identité consacrée par l’article 47 du code civil, les actes fournis sont régulièrement, voire systématiquement écartés. Il n’y arrive pas non plus car l’entretien d’évaluation, qui peut durer de 10 minutes à plusieurs heures dans certains départements, se fait à charge afin de déceler les incohérences du discours dans un cadre où l’évaluateur est peu formé à l’exercice et où l’interprète n’est pas physiquement présent mais au téléphone. Face à la neutralisation de ces modalités d’évaluation, le MNA est soumis à un examen radiologique osseux pour lesquels les experts eux-mêmes recommandent la plus grande précaution du fait des marges d’erreur importante. Nombres d’expertises donnent, en effet, des âges farfelus compris entre 16,2 ans et 25,5 ans. Ce qui fait qu’elles sont souvent inexploitables et que bien souvent elles arrivent à se contredire les unes les autres pour un même individu. Et au milieu de ce magma informe, le jeune migrant est seul, sans assistance, contrairement à ce qui existe, par exemple, en Italie avec les tuteurs volontaires.

Quels sont les outils juridiques à disposition du Conseil d’État pour se prononcer sur cette affaire ?

Les associations et ONG requérantes excipent de la Convention internationale des droits de l’enfant. Elles argumentent aussi au regard de la condamnation dont la France a fait l’objet, en janvier 2023, par le Comité des Nations Unies pour les droits de l’enfant. Cependant, celui-ci n’a pas un réel pouvoir de contrainte et de sanction sur les États. Aussi, le Conseil d’État peut certes s’en saisir pour étayer son raisonnement. En revanche, il peut fonder son contrôle sur la Convention internationale précitée, car l’État français est lié par ses obligations internationales. Mais il peut aussi faire référence au nouveau principe constitutionnel consacré en 2019 par le Conseil constitutionnel qui est celui de l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Avec une épée de Damoclès au-dessus de l’État français : celle d’une nouvelle condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, celle-ci a plusieurs fois condamné la France pour des violations concernant des mineurs non accompagnés. Et la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, qui contient des mesures relatives aux MNA, a justement été adoptée pour éviter une nouvelle condamnation de la part du juge de Strasbourg. Mais cela n’est pas suffisant, car c’est une refonte totale du dispositif qui s’impose, que ce soit d’un point de vue normatif ou pratique. Et c’est sur ce dernier point que le Conseil d’État aura du mal à agir dans la mesure où l’une des problématiques touche aussi à l’absence d’harmonisation des pratiques locales face à l’application du cadre légal existant et posé dans l’article 388 du code civil.

Pour un renouveau du dispositif national relatif aux MNA

Il existe désormais des outils qui peuvent fonder une reconstruction complète du dispositif actuel tel qu’il est largement remis en cause, tant au niveau national qu’international. Ces instruments proviennent non seulement du monde universitaire avec l’élaboration d’une nouvelle méthode de détermination de l’âge, mais aussi du monde institutionnel avec le Guide EUPROM piloté par le ministère de la Justice français en lien avec l’Italie, l’Espagne et la Suède.  

A cela s’ajoute la Recommandation du 14 décembre 2022 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur les principes des droits de l’homme et lignes directrices en matière d’évaluation de l’âge dans le contexte de la migration. Tous ces instruments convergent pour promouvoir de nouvelles pratiques en la matière comme la présomption de minorité (que le Conseil d’État semble esquisser mais de manière implicite), la désignation d’un tuteur, la pluridisciplinarité et le renforcement des liens avec les consulats d’origine pour redonner du poids aux documents d’identité. Le chemin qui s’ouvre aujourd’hui devant le Conseil d’État est escarpé, mais il peut conduire à franchir des sommets qui, jusque-là, barraient l’horizon des possibles afin de garantir que les mineurs non accompagnés soient avant tout traités à la lumière du principe, tant international que constitutionnel, de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant.