Par Margot Musson, Docteure en droit – ATER à l’Université Jean Moulin Lyon III, Centre de droit de la famille – Équipe de recherche Louis Josserand

Depuis le 3 juin 2024, le réseau social X (ex-Twitter) autorise officiellement les contenus pornographiques sur sa plateforme dans le cadre de sa politique mise à jour en ce sens : cela permettra « d’apporter davantage de clarté sur les règles et de transparence dans l’application de ces domaines » et de pouvoir partager des « contenus sexuels consensuels et de la nudité destinée aux adulte ». Le réseau social le dit lui-même : il s’agit d’une annonce qui ne vient pas modifier sa politique, puisque ces contenus sont déjà présents depuis sa création et n’ont jamais été officiellement interdits. Il semble que l’arrivée d’Elon Musk à la tête de la société, indiquant sa volonté de faire de X un réseau promouvant – à l’excès ? – la liberté d’expression, ne soit pas une coïncidence. Cette annonce interroge sur plusieurs points.

Quelle est la justification de ce choix ?

Dans sa politique, X indique vouloir promouvoir la liberté d’expression car « L’expression sexuelle, qu’elle soit visuelle ou écrite, peut être une forme légitime d’expression artistique ». Il ajoute que « Nous croyons en l’autonomie des adultes en ce qui concerne la création de contenus reflétant leurs propres convictions, désirs et expériences, notamment de contenus relatifs à la sexualité, et pour ce qui est de l’interaction avec de tels contenus ». Cette justification paraît légitime in abstracto mais il n’en est pas de même in concreto : il s’agit d’un réseau social, ouvert à tous (accessible aux plus jeunes enfants en un clic), dont la fonction est la communication et l’échange d’écrits et de contenus, mais qui ne se présente absolument pas comme un site pornographique ou même érotique. Dès lors, contrairement à d’autres sites tels que Onlyfans, la plupart des internautes ne sont pas ici pour communiquer ou consulter de tels contenus : cette autorisation officielle vient à l’encontre d’une forme d’« espérance légitime » que pouvaient attendre les internautes en consultant X (dont le changement de nom apparaît aujourd’hui bien approprié…).

Quelles en sont les limites ?

Les limites sont fixées par X lui-même : seuls peuvent être partagés publiquement des « contenus comportant de la nudité destinée aux adultes et des actes sexuels, produits et diffusés avec le consentement des personnes représentées, si toutefois ils sont marqués correctement et s’ils ne sont pas placés dans des zones très visibles ». Le consentement des personnes représentées est le minimum requis pour la diffusion de ce type de contenus ; à défaut, ceux-ci tomberaient sous le coup de la loi pénale. Un avertissement doit également être apposé à côté du contenu.

Cette autorisation doit être lue à la lumière des politiques numériques nationales et européennes récentes. En effet, le législateur européen a à cœur de modérer les contenus numériques, comme en témoigne le récent Règlement sur les services numériques (aussi appelé DSA) qui impose à chaque plateforme de permettre aux utilisateurs de signaler un contenu illicite. La récente loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (loi SREN) vise au même objectif, puisqu’il s’agit essentiellement pour ce texte de mettre en œuvre concrètement ce nouveau règlement européen, parmi d’autres. Tout ce qui est interdit hors ligne doit l’être en ligne. En soi, un contenu pornographique n’est pas interdit sur le net, sauf exceptions condamnées par le droit pénal, également prévus par X dans sa politique (pédopornographie, viol, violences). Par ailleurs, le réseau social rappelle le signalement possible de tels contenus, conformément aux textes français et européen : il apparaît donc en conformité avec ces derniers.

Existe-t-il des garanties pour les utilisateurs mineurs ?

Le bât blesse lorsqu’il est question de la protection des utilisateurs mineurs, pour lesquels il est unanimement admis que l’accès à des contenus pornographiques est nuisible pour leur bien-être et peut potentiellement les conduire à adopter des comportements sexuels inappropriés par mimétisme. Dans sa politique, X indique restreindre « l’exposition aux contenus destinés aux adultes pour les enfants et tout utilisateur qui choisit de ne pas les voir » et interdire « le partage de contenus pour adultes dans des endroits très visibles, comme les photos de profil ou les bannières ». De plus, ne pourront accéder au contenu marqué comme incluant de la pornographique que les utilisateurs de plus de 18 ans.

Ces garanties sont clairement insuffisantes, comme en témoigne le rapport accablant de l’Arcom rendu en mai 2023 sur la consultation des sites pornographiques par les mineurs. Quoi de plus aisé que de mentir sur son âge lors de l’inscription sur un réseau social ? Quoi de plus simple que d’utiliser le compte d’un tiers adulte (membre de la fratrie, ami) pour consulter de tels contenus ? Le législateur français a récemment fait du contrôle de l’accès des mineurs à la pornographie en ligne l’un de ses chevaux de bataille, grâce à la loi SREN récemment adoptée qui impose des obligations aux hébergeurs de contenus pornographiques chargés de contrôler l’âge de l’utilisateur. En la matière, l’Arcom ne devrait pas tarder à publier un référentiel pour guider ces sites sur les modalités de vérification. Toutefois, aucune mesure ne semble réellement efficace. Il y a fort à parier que les mineurs qui le souhaitent trouveront toujours la possibilité de consulter des contenus pornographiques, notamment sur X.