Par Marc-Antoine Granger,  Maître de conférences HDR en droit public à l’Université Côte d’Azur, membre du CERDACFF et du conseil d’administration de l’AFDSD

« Mayotte place nette », de quoi s’agit-il ?

Il faut lever toute équivoque. Cette opération « Mayotte place nette » comme, du reste, les opérations du même nom organisées, ici ou là, en métropole en vue principalement de lutter contre les trafics de stupéfiants et de sécuriser l’espace public, n’ont rien de nouveau. Elles sont habituellement connues sont le nom d’opérations « coup de poing ». De nombreux travaux universitaires leur sont consacrés, que ce soit sous l’angle du droit (v., par ex., Marc-Antoine Granger, Constitution et sécurité intérieure. Essai de modélisation juridique, LGDJ, Bibl. const. et de sc. pol., 2011, pp. 276 et s.) ou de la criminologie (v., par ex., Maurice Cusson et Éric La Penna, « Les opérations coup de poing », in Traité de sécurité intérieure, Hurtubise, Montréal, 2007, pp. 569-581). Schématiquement, le juriste et le criminologue s’intéressent respectivement au cadre juridique de l’intervention et aux effets de celle-ci sur la criminalité.

Au bénéfice de cette précision, on voudra relever que cette opération « Mayotte place nette » prend le relai de l’opération de 2023, baptisée « Wuambushu ». Les objectifs sont identiques, puisque, dans son discours du 16 avril 2024, la ministre déléguée a indiqué que, « comme pour Wuambushu, c’est une opération de grande envergure qui se déroulera (…) autour du même triptyque insécurité, immigration, habitat indigne ». Il y a évidemment un effet d’annonce important pour le Gouvernement, compte tenu du « sentiment d’abandon par les pouvoirs publics ressenti par les mahorais » (rapport d’information n° 114, enregistré à la présidence du Sénat le 27 oct. 2021, p. 29). Il reste qu’une fois l’opération terminée, les efforts de lutte contre l’immigration clandestine devront se poursuivre. Tel est bien l’objectif fixé par la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (point 3.4 du rapport sur la modernisation du ministère de l’Intérieur, annexé à la loi n° 2023-22).

Cette opération modifie-t-elle l’état du droit ou renforce-t-elle les pouvoirs de police ?

L’opération ne modifie nullement l’état du droit. Gardons cependant à l’esprit que si les lois et règlements sont applicables de plein droit à Mayotte, ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières du département (art. 73, al. 1er de la Constitution). À titre d’illustration, en vertu d’un régime juridique spécifique au département de Mayotte, l’identité de toute personne peut être contrôlée sur l’ensemble du territoire en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi (v. l’art. 78-2, al. 14, du CPP et Cons. const., décision n° 2022-1025 QPC du 25 novembre 2022).

Par ailleurs, l’opération « Mayotte place nette » n’a pas pour effet de renforcer les pouvoirs de police, à la différence, par exemple, de la déclaration de l’état d’urgence qui accroît les pouvoirs de police administrative du ministre de l’Intérieur et des préfets (v. les art. 5 et suivants de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence).

Quel est le cadre juridique d’intervention des forces sur le terrain ?

Sur le plan fonctionnel, le cadre juridique de l’opération se dédouble. D’un côté, il y a un volet judiciaire, les forces engagées sur le terrain ayant pour mission de rechercher des auteurs d’infractions, à savoir notamment une soixantaine de chefs de bande. D’un autre côté, dans le cadre de la police administrative, l’opération a pour finalité de lutter tout à la fois contre l’immigration irrégulière et l’insalubrité dans les bidonvilles.

Concrètement, une semaine après le début de l’opération, la ministre déléguée chargée des outre-mer a communiqué les premiers résultats de l’opération (déclaration du 23 avril 2024) : six chefs de bande ont été interpellés ainsi qu’une centaine de délinquants et cinq cent trente-six étrangers en situation irrégulière, environ cinquante armes ont pu être saisies, et deux cent cinquante « bangas » ont été détruits.

Sur le plan institutionnel, le modus operandi est celui qui sera à l’œuvre au moment de la sécurisation des Jeux olympiques et paralympiques. Il s’agit du « continuum de sécurité et de défense ». Aussi, les forces armées interviennent-elles aux côtés des forces publiques de sécurité intérieure, à savoir principalement les policiers nationaux et les militaires de la gendarmerie nationale. En guise d’illustration, en vertu d’une réquisition administrative du 2 mai 2024, les forces armées sont engagées à Mayotte dans la lutte contre l’immigration clandestine. Notons que les capacités des forces sont désormais augmentées par celles des technologies. Ainsi, pour la période du 6 mai 2024 au 11 mai 2024, le préfet de Mayotte a autorisé la captation, l’enregistrement et la transmission d’images via une caméra fixée sur un drone par le détachement de légion étrangère de Mayotte (DLEM) dans le cadre des opérations de prévention des entrées illégales sur le territoire, des atteintes à la sécurité des personnes et des biens et de soutien aux forces de sécurité intérieure (arrêté n° 2024-CAB-346 du 2 mai 2024. V. également l’art. L. 242-5 du code de la sécurité intérieure).