Par Charlotte Dubois, Professeure en droit privé à Paris-Panthéon-Assas

Que prévoit le dispositif actuel ?

La loi réprime le refus d’obtempérer. Il peut être simple ou aggravé lorsqu’il expose autrui à un risque de mort ou de blessures graves (une sur-aggravation est prévue lorsque les personnes exposées appartiennent aux forces de l’ordre). Le délit a fait l’objet d’évolutions dans un sens répressif avec les lois du 9 mars 2004 et du 28 février 2017. Pourtant, en dépit de ces modifications, les refus d’obtempérer connaissent une hausse inquiétante : entre 2012 et 2022, le rapport constate une augmentation de 94.6% des refus d’obtempérer aggravés. En France, on compte un refus d’obtempérer toutes les 17 minutes. Les causes de ces refus sont incertaines et peut-être plurielles (la première est indéniablement la volonté d’échapper aux contrôles par les auteurs de délits routiers, mais on avance également une volonté de défier l’autorité).

Or, plus les refus d’obtempérer sont nombreux, plus l’usage de leurs armes par les policiers sera fréquent. Pour mémoire, le régime de l’usage des armes a longtemps été distinct entre les policiers et les gendarmes, ces derniers évoluant traditionnellement en milieu rural et étant ainsi autorisés à faire feu plus facilement. La loi du 28 février 2017, dans le contexte des attaques terroristes dont les forces de l’ordre ont été la cible, a unifié le régime. Désormais, c’est l’article L.435-1 du Code de la sécurité intérieure (spécifique aux forces de l’ordre et qui complète le droit commun de la légitime défense) qui permet aux agents de faire usage de leur arme notamment en cas de refus d’obtempérer. Or, on sait trop bien qu’un tir des forces de l’ordre est de nature à embraser le pays.

La réforme de 2017 pose-t-elle des conditions trop souples ?

La question se pose de l’existence d’un lien de causalité entre l’adoption de la réforme de 2017 et l’augmentation du nombre de tirs mortels par des policiers en cas de refus d’obtempérer. Pour certains, le lien n’est pas établi, de sorte qu’il n’y a pas lieu de réformer le Code de la sécurité intérieure. Pour les autres, à l’inverse, l’augmentation du nombre de tirs policiers, en particulier pour l’année 2017, est la conséquence d’un assouplissement du régime de sorte qu’une réforme du texte s’imposerait.

La question, naturellement, est hautement sensible et politique. Les uns dénoncent « un traitement de défaveur » des policiers, les autres « une application bienveillante au bénéfice des policiers » des règles de la légitime défense ou du code de la sécurité intérieure. Quoi qu’il en soit, la direction générale de la police nationale rappelle que « 99% des refus d’obtempérer ne donnent pas lieu à usage de l’arme par un policier », bien loin du Far-West redouté par La France Insoumise qui avait qualifié de « permis de tuer » la réforme de 2017.

Quelle proposition de réécriture est formulée ?

Le rapport parlementaire contient 23 propositions. Les 22 premières étaient consensuelles : mieux former les policiers, désigner des magistrats référents sur ces questions, promouvoir une offre de formation pour sensibiliser les magistrats aux réalités des missions des forces de l’ordre (et mettre ainsi fin au mythe selon lequel tirer dans les pneus d’un véhicule en marche serait efficace), amplifier le déploiement des caméras embarquées…

En revanche, sur la question beaucoup plus sensible de la réécriture de la loi, les auteurs du rapport ne sont pas parvenus à un accord. Si le rapporteur socialiste (Roger Vicot) y est favorable, le rapporteur Renaissance (Thomas Rudigoz) n’y souscrit pas. Plus précisément, l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure prévoit que les agents des forces de l’ordre peuvent « faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée » dans une liste de cas et, notamment, lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ». Cette formulation était le fruit d’un équilibre longuement discuté à l’Assemblée qu’il est aujourd’hui question de remettre en cause. La réécriture proposée par l’un des rapporteurs consisterait à supprimer le terme « susceptible » qui, d’une part, serait en contradiction avec les exigences du premier alinéa de l’article d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité et qui, d’autre part, laisserait penser à un assouplissement des conditions d’usage des armes. Il serait remplacé par la notion d’imminence : l’usage des armes serait possible si les occupants du véhicule dont le conducteur n’obtempère pas « vont manifestement et de manière imminente perpétrer, dans leur fuite, des atteintes » à la vie ou à l’intégrité physique. L’idée poursuivie est d’éviter une appréciation subjective de la part de l’agent. Pour cela, il est proposé de réduire sa marge d’appréciation en précisant les conditions de l’usage des armes en cas de refus d’obtempérer aggravé. Pourtant, l’appréciation subjective n’est-elle pas inhérente à l’usage des armes ? N’est-ce pas toujours l’agent qui appréciera si le délinquant va manifestement et de manière imminente perpétrer une atteinte grave ? Faut-il, principalement pour des raisons symboliques, réécrire un texte si récent en faisant planer la suspicion de la gâchette-facile sur nos forces de l’ordre ? À titre personnel, on en doute. Remettre en cause l’équilibre
du texte de 2017 viendrait alimenter l’instabilité législative pour remplacer un terme flou par
d’autres qui le sont tout autant ; si Montesquieu, et à sa suite Carbonnier, invitent le législateur
à « légiférer d’une main tremblante », ce n’est certainement pas parce qu’il doit trembler devant
la peur de nouvelles émeutes. Qu’elle est loin l’année 2016 où même Renaud chantait « J’ai
embrassé un flic »