Par Pascal Oudot, Professeur à la Faculté de droit de Toulon

Les parents, en tant que titulaires de l’autorité parentale, ont le devoir de veiller à la sécurité, à la santé, à la vie privée et à la moralité de leur enfant (C. civ., art. 371-1). Dans cette tâche, ils sont aidés par l’Etat qui leur apporte soutien en matière d’éducation et en matière économique. C’est précisément sur ces deux terrains que les pouvoirs publics entendent faire justice, ici en sanctionnant pénalement leur défaillance éducative (Proposition de loi n° 2602 du 7 mai 2024, visant à lutter efficacement contre la délinquance des mineurs ; déjà proposition de loi n° 420 du 2 novembre 2022), là en supprimant certaines de leurs aides (Conseil municipal de Rillieux-la-Pape du 23 mai 2024). Très critiquées, ces mesures viennent en renfort d’un dispositif dont l’efficacité prête à caution.

Des sanctions « peu contraignantes »

Que la sanction soit associée à la contrainte est un lieu commun. Celle des parents d’enfants délinquants est pourtant devenue symbolique. La sanction pénale des parents se heurte au principe séculaire de personnalité des peines, consacré par le Code pénal en 1994 à l’article 121-1. La responsabilité pénale des parents du fait des infractions commises par leur enfant mineur ne peut être retenue. En revanche, l’article 227-17 du code pénal permet d’engager leur responsabilité dans le cas où leur défaillance éducative, et par conséquent leur faute, est la cause du délit ou crime commis par l’enfant. Est alors puni de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 € d’amende, le « fait par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur ». Cependant, la difficulté d’établir en pratique ce lien de causalité et la possibilité laissée aux parents de justifier de leur comportement suggèrent le peu d’entrain du législateur à vouloir les sanctionner.

En matière civile, la responsabilité des parents du fait de leurs enfants mineurs, ici reconnue, est d’une sévérité le plus souvent illusoire. Elle répond à une logique objective des plus abouties leur laissant peu d’échappatoire : sont civilement responsables de tous les actes dommageables causés par leur enfant mineur, les parents même non fautifs. De là l’indifférence de ces derniers envers un système dont la vertu est de faire peser, non pas sur eux mais sur la collectivité, la charge de réparer la victime par le jeu de l’assurance. Du reste, ce système imparfait, l’assurance n’étant pas obligatoire, présente-t-il un effet contraignant diffus lorsque l’assureur, tirant les conclusions des évènements survenus, procède à une augmentation des primes.

La volonté manifeste de punir

La volonté affichée du ministre de la justice, au lendemain des émeutes de juin 2023, de « renforcer les sanctions contre les parents des jeunes délinquants », confirme l’infléchissement opéré au moment de la réforme du Code de la justice pénale des mineurs, dans le sens d’une responsabilisation soutenue des parents ; parents qu’il s’agit de confronter, au besoin par la contrainte, à la délinquance de leur enfant mineur, y compris lorsque les faits commis par ce dernier sont de faible gravité. En cas de refus, les parents peuvent être condamnés à une amende dont le montant ne peut excéder 3750 euros et à un stage de responsabilité parentale (CJPM, art. L. 311-5).

Devançant le projet de loi annoncé par le Garde des Sceaux relatif à la responsabilité parentale et à la réponse pénale en matière de délinquance des mineurs, la proposition de loi n° 2602 voudrait donner à la responsabilité des parents une effectivité tant pénale que civile. Pénale, en cas de passivité des parents qui seraient alors passibles d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, pour avoir laissé (le mineur) commettre un crime ou un délit (art. 5). Civile, en privant d’une partie des allocations familiales (50%) les parents insolvables et incapables d’honorer leur dette de responsabilité envers la victime (art. 8). Cette proposition rejoint la décision prise par Conseil municipal de Rillieux-la-Pape de refuser l’accès aux logements sociaux aux familles de mineurs reconnus coupables de délits importants. Cette mesure, qui s’apparente à une sanction administrative du fait d’autrui, en l’occurrence celle des parents du fait de l’infraction commise par leur enfant mineur, pourrait être contestée, dans un premier temps, par des édiles de l’opposition, vraisemblablement sur le fondement d’une atteinte au principe d’égalité. Elle interroge sur son opportunité autre qu’électorale.

L’opportunité des sanctions à l’encontre des parents

L’expérience passée rappelle l’échec de la solution déjà introduite par la loi Ciotti de 2010, avant qu’elle ne soit abrogée en 2013, prévoyant la suppression des allocations familiales en réponse à l’absentéisme scolaire. Elle conduit à l’évidence à précariser un peu plus les familles en situation économiquement difficile, à discriminer celles-ci en fonction de leur revenus alors que les violences, telles celles qui sévissent sur le net, peuvent se dérouler à l’insu des parents les plus vigilants. Ailleurs et par un enchaînement spécieux, elle contamine et banalise la délinquance au sein des familles, unissant parents et enfants à la peine. A l’extrême, elle fragilise sociologiquement le lien de filiation et favorise le rejet par leurs parents d’enfants à l’adolescence difficile. Il est pour le moins singulier qu’après avoir démantelé les structures de la famille, l’Etat fasse porter sur les parents les conséquences désastreuses de ses choix, ce qui incline à penser que la décision de les sanctionner n’est pas des plus judicieuses.