Par Marie-Laure Moquet-Anger, professeur de droit à l’Université de Rennes

Quelles sont les obligations de l’Etat en matière d’accès à la santé ?

En vertu du préambule de la Constitution, la nation garantit à tous la protection de la santé. En 2002, la loi Kouchner introduit l’article L 1110-1 dans le code de la santé publique selon lequel le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Il en définit le contenu : prévention, égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état, continuité des soins et meilleure sécurité sanitaire possible. C’est particulièrement l’égal accès aux soins pour tous qui se trouve en cause dans ces parties du territoire où 6 millions d’assurés sociaux n’ont pas de médecin traitant. Or, le médecin traitant est la voie d’accès au système de santé ; il conditionne le parcours de soins du patient, d’abord comme premier recours par la prescription de médicaments, d’actes de biologie et d’imagerie médicale et prestations d’auxiliaires médicaux, ensuite en orientant le patient vers le second recours, soins plus spécialisés et hospitalisation. De l’absence ou de l’insuffisance de médecins dans ces territoires, il en résulte un renoncement aux soins, autant de personnes âgées qui ne peuvent se déplacer à des dizaines de kilomètres de leur domicile et dans un délai raisonnable que de femmes enceintes qui se voient opposer un refus de prise en charge de nouveaux patients par des médecins et chirurgiens-dentistes déjà submergés par leur clientèle. Dans le meilleur des cas, et suivant leurs moyens financiers, ces personnes attendront plusieurs mois, feront parfois deux cents kilomètres et prendront un jour de congés, ou paieront des dépassements d’honoraires élevés pour accéder à un examen médical.

Pourquoi les dispositifs adoptés depuis 20 ans demeurent-ils inefficaces ?

Ce qui est reproché à l’Etat n’est pas tant son inaction, que l’absence de résultats dans la mise en œuvre de dispositifs aussi nombreux que coûteux et dont l’inventivité n’a d’égale que l’inefficience. D’un point de vue strictement juridique, on ne peut reprocher à l’Etat la carence de moyens ainsi qu’on a pu le déduire d’un arrêt du Conseil d’Etat du 11 février 2022 (N°452304, Association de citoyens contre les déserts médicaux). Pour autant, les interventions successives du législateur pour réduire les inégalités territoriales d’accès aux soins depuis 2002, largement analysées dans le rapport de la Cour des comptes, n’ont pas produit les effets attendus. Principalement, les dispositifs se concentrent autour de trois maîtres mots : coordination, coopération, installation. Qu’il s’agisse de dispositifs de coordination des soins entre les professionnels de santé sur un territoire (Communautés professionnelles territoriales de santé, Dispositifs d’Appui à la Coordination, …), de coopération entre la ville et l’hôpital (hôpitaux de proximité), d’incitation à l’installation des médecins dans les zones sous-dotées ( bourses d’études, subventions d’investissement, mises à disposition de  locaux par les édiles municipaux, aides de l’assurance maladie,…), tous, s’ils procèdent de bonnes intentions, sont caractérisés, outre leur coût et leur manque d’évaluation, par leur superposition, conséquences des réformes législatives adoptées au coup par coup. Pour assurer l’accès aux soins de premier recours, il faut des professionnels de santé susceptibles d’exercer ces soins en fonction de leurs compétences et en nombre suffisant dans un périmètre permettant des soins de proximité comme de qualité. Ces professionnels, notamment les médecins généralistes, manquent ou sont mal répartis sur l’ensemble du territoire. Assurer la coopération entre professionnels de santé permet de gagner du temps médical. Pour autant faut-il que les médecins soient au rendez-vous !

Comment replacer l’accès aux soins de premier recours au cœur du système de santé ?

L’inégalité d’accès aux soins constitue non seulement une atteinte au principe d’égalité, mais elle est aussi synonyme de pertes de chances de retrouver un meilleur état de santé ou d’éviter son aggravation. Le non-accès aux soins est également facteur de dépenses sociales supplémentaires en raison des retards dans la prise en charge des patients dont l’état de santé s’aggrave (selon un précédent rapport de la Cour des comptes de 2017 sur l’avenir de l’assurance maladie, les inégalités territoriales d’accès aux soins coûteraient entre 900 millions et trois milliards d’euros par an au système de santé). Aujourd’hui, le rapport de la Cour des comptes dénonce un assemblage de rustines quand le système de santé a besoin d’un nouveau souffle. Pour autant, ses recommandations ne semblent pas animées de ce nouveau souffle, comme par exemple celle qui consiste à confier aux hôpitaux une nouvelle mission d’intérêt général, en l’occurrence : déployer des centres de santé polyvalents dans les zones manquant de professionnels, alors que les hôpitaux manquent eux-mêmes de personnels, soignants et médicaux. A quand une grande loi sur le système de santé redéfinissant les relations entre tous les acteurs, ceux cités à l’article 1er du code de la santé publique, autant de contributeurs à la protection de la santé ?