Par Anne-Andréa Vilerio, avocate et Fleur Jourdan, avocate et fondatrice du cabinet Fleurus Avocats

En quoi cette décision de sanction est-elle inédite dans le monde du football professionnel ?

Lors de la précédente journée mondiale de lutte contre l’homophobie, en 2023, des joueurs des clubs de Nantes, Toulouse et Guingamp avaient refusé de porter les maillots aux couleurs arc-en-ciel du drapeau LGBT, invoquant leurs cultures et croyances religieuses. Certains entraîneurs avaient également remis en question la pertinence de cette initiative de lutte contre les discriminations. Personne n’avait alors été sanctionné.

Sans doute en raison de ces réticences, les 17 et 18 mai derniers, la LFP a choisi de fusionner ses actions contre le racisme et l’homophobie en menant une campagne plus discrète. Cette décision reflète l’indéniable réserve du monde du football professionnel à s’associer aux actions de lutte contre les comportements homophobes.

Jusqu’à présent, un seul précédent concernant une attitude homophobe avait fait l’objet d’une sanction par la commission de discipline de la LFP. Pour rappel, la Ligue agit par délégation de la Fédération Française de Football (FFF), elle-même délégataire de service public. Dans cette affaire, M. Kévin N’Doram a été condamné durant l’été 2023 à une suspension pour un match, avec sursis, en raison de propos homophobes tenus à la mi-temps d’une rencontre. Par la suite, le joueur avait présenté des excuses et accepté de participer à des ateliers de sensibilisation à la lutte contre les discriminations, organisés par la LFP.

Pourquoi la sanction prononcée à l’encontre de Mohamed Camara est-elle critiquée ?

La suspension prononcée interdit à Mohamed Camara de participer aux quatre premières rencontres de la prochaine saison de Ligue 1, mais ne l’empêchera pas de représenter son pays en jouant pour l’équipe nationale du Mali début juin.

Une telle sanction apparaît relativement légère au regard du Règlement disciplinaire et du barème disciplinaire de référence 2023-2024 de la FFF. Selon ce barème, un comportement discriminatoire d’un joueur, et plus particulièrement, un « propos, geste et/ou attitude visant une personne en raison notamment de son orientation sexuelle », est passible de 10 matchs de suspension. Or en l’espèce, le maintien par le joueur de sa posture et son refus de participer à toute action de sensibilisation, auraient pu constituer une circonstance aggravante justifiant une sanction plus importante.

Selon le Règlement de la FFF, le club du joueur risquait également de subir une ou plusieurs sanctions disciplinaires, telles qu’un rappel à l’ordre, une amende, un retrait de points au classement d’une équipe dans le cadre d’une compétition en cours ou à venir. Il convient de préciser que l’AS Monaco s’est néanmoins désolidarisé de son joueur, refusant de l’assister devant la commission. Il a par ailleurs annoncé son soutien à la décision de sanction prise à son encontre, en précisant qu’il ne ferait pas appel. Bien que la ministre des Sports ait sollicité une condamnation du club, celui-ci n’a pas été sanctionné.  

Cette affaire pourrait-elle faire bouger les lignes dans le monde du football professionnel et au-delà ?

À la suite de l’affaire Mohamed Camara, l’association de supporters LGBT+ de l’équipe de France « Bleus et Fiers » a déposé plainte pour incitation publique à la haine homophobe. Pour rappel, aux termes de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, un tel délit est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Cette plainte vise non seulement le joueur Mohamed Camara, mais également d’autres athlètes absents lors du match du 19 mai, leurs clubs respectifs, ainsi que la LFP. Une telle action pourrait entraîner des répercussions significatives sur la manière dont la LFP gère les incidents de ce genre à l’avenir. En effet, sous la pression croissante des associations et de l’opinion publique, la Ligue pourrait être encouragée à sanctionner plus sévèrement les joueurs réfractaires, renforçant ainsi la lutte contre l’homophobie dans le football professionnel.

Quelques mois avant cette affaire, à la fin de l’année 2023, l’Assemblée nationale avait publié un rapport détaillant les dysfonctionnements homophobes graves au sein de la FFF. Ce rapport mettait en lumière des pratiques discriminatoires systémiques, suscitant une prise de conscience sur la nécessité d’une réforme profonde des structures sportives en France. Lors de son audition par la Commission d’enquête de l’Assemblée, M. Diallo, président de la FFF, avait présenté les objectifs de la Fédération en matière de lutte contre les discriminations. Ce plan vise à instaurer des mesures concrètes afin de réduire les comportements homophobes au sein du monde du football, tant au niveau professionnel qu’amateur. Celui-ci comprend des initiatives de sensibilisation, de formation des acteurs du football, et de mise en place de sanctions strictes contre les infractions aux règles anti-discrimination.

Il convient enfin de préciser que la LFP n’est pas la seule organisation sportive à se mobiliser lors de la Journée mondiale contre les LGBT-phobies. À l’unanimité, l’ensemble des arbitres des quatre divisions professionnelles du handball français masculin et féminin ont porté un brassard arc-en-ciel durant cette journée. De son côté, la fédération française de rugby a fait le choix de dessiner des lignes arc-en-ciel sur ses pelouses. Aucun autre incident particulier n’a été à déplorer. Le signe que, malgré quelques réticences, les lignes semblent bouger dans le monde du sport professionnel.